Et si on parlait autrement enfin du voile, du foulard et de bien d’autres signes?

Réflexions et propositions de femmes engagées dans l’éducation permanente, les mouvements sociaux et la formation Synthèse de Majo Hansotte – octobre 2009

1. Il est urgent de changer de cadre
2. Un climat désastreux!
3. Le déni des enseignants, des éducateurs et des animateurs
4. Les enjeux de l’école et de l’éducation pour les femmes? et les hommes!
5. Faire société: un défi permanent!
6. Des méthodes et des démarches transitionnelles: une prospective

1. Il est urgent de changer de cadre

Le texte qui suit est issu de réflexions et d’échanges de femmes engagées dans l’associatif, l’éducation formelle et non formelle, la solidarité internationale, les mouvements sociaux: des femmes liées à de multiples courants philosophiques et politiques. Le propos synthétise plusieurs moments de réflexions, de recherches, de propositions. Et la synthèse proposée ici sera relayée auprès de différents responsables politiques ou publics, par celles d’entre nous qui le voudront, à titre personnel ou plus institutionnel.

Nous sommes très inquiètes de la tournure que prend dans l’espace public la question du voile ou du foulard. On assiste à une véritable polémique allant dans tous les sens, où l’on voit s’affronter affirmations péremptoires contre affirmations péremptoires. La polémique est globalement monopolisée par des opinions très tranchées ou par des mouvances idéologiques et des lobbies divers,sans doute légitimes puisque le débat fait partie de la vie démocratique, mais qui ont pour effet d’étouffer la voix des éducateurs de terrain, d’envoyer aux oubliettes les témoignages du monde de l’éducation. Est-ce vraiment à travers ce débat bruyant et très médiatique que l’on va résoudre les difficultés concrètes?

Nous reprendrons ici les éléments problématiques et même très graves qui caractérisent cette polémique selon nous et nous proposerons une autre façon d’aborder la question. «Non, le caractère religieux des signes n’est pas seul à l’origine des problèmes vécus dans les écoles en lien avec le foulard ou voile: les problèmes sont liés aussi à d’autres facteurs. Oui, il y a moyen d’associer un objectif de mise en suspens des signes et de garantir en même temps un accès pour toutes à l’éducation». A condition de définir autrement le cadre de réflexion!

2. Un climat désastreux

Le climat dans lequel se déroule cette agitation ne paraît pas susceptible de faire évoluer les choses dans le bon sens. On assiste à une judiciarisation du problème – sans qu’on sache exactement combien de personnes sont derrière les plaintes – avec recours au Conseil d’État, procès et compagnie, ce qui n’a jamais été la meilleure façon d’amener un changement constructif. La suspicion est au centre des discours. L’argument principal de «l’accusation» est le suivant: pour des raisons de concurrence, beaucoup d’écoles, soucieuses de ne pas perdre de clients, ont décidé d’interdire le port du voile et du foulard, ce qui a eu un effet «boule de neige». Une telle lecture est réductrice, voire insultante pour bon nombre d’écoles, et surtout elle passe complètement à côté des défis très complexes et exigeants auxquels les enseignants et éducateurs sont confrontés.

Toute cette croisade contre ou autour de ce qui est défini comme «l’interdit des signes religieux» nous entraîne régulièrement aussi dans une casuistique absurde, où il serait question, pour être équitables, de traquer les bijoux en croix ou la main de Fatima autour du cou, les médailles aux oreilles et les crucifix qui subsistent et font bien souvent partie du décor… bref on nage en pleine «absurdité», loin, très loin des réalités… Le problème en effet n’est vraiment pas là! Et surtout ces fameux débats cumulent les malentendus et les contresens, avec des conséquences qui s’annoncent désastreuses pour les jeunes de milieux populaires prioritairement, pour leurs éducateurs ou professeurs ensuite et pour nous tous et toutes également!

Le tapage est tel qu’il est d’abord en train de produire entre les communautés musulmanes et les autres membres de la société wallonne et bruxelloise un grave malentendu, totalement injustifié, mais qui aura un impact très négatif en matière de solidarité, particulièrement en période de crise…

Ainsi à force de crier à l’interdit, on en vient à imposer une idée fausse selon laquelle la Communauté française de Belgique serait gravement intolérante à l’égard des Religions et pratiques religieuses, alors même que c’est exactement le contraire. Chaque citoyen qui est en situation et en obligation de payer des impôts, à Bruxelles et en Wallonie, sacrifie une part de ses revenus pour permettre un important soutien public à l’égard des principaux cultes et des différentes confessions, soutien que l’on retrouve dans très peu de pays sur cette planète: citons, entre autres, le financement des Ministres des Cultes, des lieux, des associations en lien avec ces cultes, et surtout la possibilité pour chaque jeune dans l’enseignement officiel d’avoir accès à un cours confessionnel de son choix? Familièrementdit, la Communauté française est un véritable «paradis» pour le fait religieux! On peut certes regretter que des confessions aient attendu plus longtemps que d’autres et on peut savoir que certains espèrent une évolution dans les répartitions, mais fondamentalement, il est difficile aujourd’hui d’aller encore beaucoup plus loin dans l’investissement général. Un tel tapage autour de ce qui est souvent présenté comme un «interditconfessionnel» a donc quelque chose de profondément injuste à l’égard des pouvoirs publics et des contribuables et l’on entend un peu partout s’exprimer chez les citoyens les mieux intentionnés un découragement

Au-delà de ce malentendu lourd de conséquences pour un avenir interculturel, plus fondamentalement encore, la façon dont la difficulté est abordée nous paraît problématique. L’on nous répète en effet de la part d’acteurs politiques ou autres, très bien intentionnés par ailleurs, qu’existe un risque de voir dans les quartiers concernés de Wallonie et de Bruxelles de nombreuses jeunes filles disparaître dans des réseaux d’enseignement islamiste, qui pourraient être, dans un avenir plus ou moins proche, financés par l’Arabie Saoudite. Bien sûr, nul n’ignore que les monarchies du Golfe, grâce à leurs pétro-dollars, soutiennent au Maroc, en Europe et ailleurs des lieux culturels ou de culte, des imams, des événements, des activités, des publications… pour promouvoir le wahhabisme. Mais est-il pertinent d’agir sous la menace et la peur? Rien n’obligera d’ailleurs la Communauté française à reconnaître de telles écoles. Mais d’abord et surtout, n’est-il pas désobligeant, à l’égard de nombreux parents comme à l’égard de différents courants de l’Islam, autrement respectueux du droit des femmes et des principes démocratiques, d’aller aligner notre démarche sur une pression supposée du wahhabisme, un courant de l’islam lié à des régimes totalement non démocratiques et cruels à l’égard des femmes? Car il existe bien d’autres façons d’envisager les choses au sein de l’islam, des façons de voir bien plus ouvertes et plus favorables à l’autonomie des femmes notamment, l’exigence du voile et du foulard ne figurant pas textuellement, on le sait, dans le Coran.

Adopter une pareille position de repli nous parait inopportun, car cela conforte l’idée d’une opposition entre les valeurs occidentales et le reste du monde, alors même que la question de l’émancipation des femmes est transculturelle: c’est une question mondiale! S’impose une vigilance combative face à toutes les habitudes ou à tous les pouvoirs qui maintiennent les femmes dans un enfermement ou qui limitent leurs droits à la découverte et à l’autonomie: traditions du monde du travail limitant l’accès des femmes aux fonctions les plus hautes, traditions politiques de méfiance à l’égard des femmes, traditions sociales imposant aux femmes beauté – féminité – sex-appeal, traditions domestiques considérant les femmes comme les seules à devoir assumer les enfants et la maison, traditions patriarcales imposant une hiérarchie entre hommes et femmes, traditions mercantiles faisant du corps de la femme une marchandise juteuse, traditions guerrières violant les femmes pour vider un territoire et imposer la loi du plus fort, traditions religieuses refusant aux femmes le savoir, la visibilité, l’aventure personnelle, traditions culturelles excisant les petites filles et leur refusant le plaisir, traditions machistes considérant la femme comme une subalterne.

Une position basse dans cette histoire est d’autant moins compréhensible chez nous qu’au sein des mouvements d’éducation permanente et dans les écoles concernées, depuis plus de cent ans, des enseignants et des éducateurs ont courageusement combattu un christianisme vengeur et ultra conservateur, opposé aux droits sociaux et aux droits de femmes, et ont réussi à imposer une lecture de l’Évangile compatible avec l’émancipation des femmes et la justice sociale. Pourquoi pas une réussite semblable avec l’islam? Enfin ce «risque» d’un réseau islamiste a-t-il été objectivé? On évoque la France, mais force est de constater que de telles initiatives sont loin d’y être dominantes. Enfin se soumettre à des impératifs de ce type revient à donner un très mauvais signal à des mouvances notamment sectaires, diverses et variées, qui veulent s’imposer dans l’éducation; c’est risquer d’enfermer notre système éducatif dans une dynamique mortifère.

3. Le déni des enseignants, des éducateurs et des animateurs

La polémique très médiatisée est – hélas! – un véritable révélateur ou encore un analyseur: les acteurs de terrain qui ont concrètement en main l’éducation, qui vivent les situations en direct, n’ont quasiment pas droit à la parole, alors même que c’est sur eux et sur eux seuls que repose la pratique quotidienne. Seules les voix instituées comme expertes sont en train de définir publiquement et médiatiquement le problème, révélant une fracture peu rassurante entre élites, ou considérées comme telles, et travailleurs de terrain.

A différents moments néanmoins, là où ils peuvent s’exprimer, des éducateurs ou éducatrices liés à l’éducation formelle (l’école) et non formelle (le champ des associations) témoignent d’un véritable désarroi, conséquence d’une terrible inversion des discours, inversion de plus en plus affirmée dans différents lieux et scènes publiques. L’engagement des éducateurs en faveur des principes démocratiques d’égale liberté des filles et des garçons, de solidarité et de justice sociale, de recherche d’autonomie à l’égard des codes dogmatiques, cet engagement est régulièrement dénoncé dans certains milieux comme insupportablement colonialiste et relevant d’un occidentalisme borné ou narcissique, alors même que la pauvreté, les violences faites aux femmes et le culte de l’argent-roi … qui font très bon ménage avec les régimes du Golfe et le Wahhabisme par exemple … tout cela, contre quoi les éducateurs sont engagés et qui fait tant souffrir les jeunes dont ils s’occupent, tout cela est beaucoup moins évoqué, lorsqu’on débat du rôle de l’école démocratique et des associations dans cette affaire.

C’est le sens du travail éducatif qui est ici menacé: à quoi bon éduquer, si ce n’est plus pour émanciper les jeunes et les initier aux conquêtes démocratiques, dans une perspective ouverte, ambitieuse, qui puisse rejoindre les espérances d’égalité et de liberté des jeunes et des femmes dans le monde, au Sud comme au Nord de la planète? L’accusation de colonialisme à l’encontre des espérances d’égalité entre filles et garçons, entendue régulièrement au sein de certaines mouvances politiques et religieuses, est particulièrement choquante, lorsque l’on se souvient que c’est précisément l’espérance d’égalité entre les peuples et les humains qui a guidé les luttes anticoloniales. Un tel procès encourage l’idée d’un «choc des civilisations», idée très peu opportune.

4. Les enjeux de l’école et de l’éducation pour les femmes ? et les hommes!

L’accès des femmes au savoir s’est accompagné, ici et ailleurs dans le monde, d’une lutte incessante pour vivre une sphère différente de la famille, vivre la possibilité de prendre la parole, d’acquérir des compétences de haut vol et d’envisager une autre destinée que celle de mère de famille pieuse et soumise. Il est important de ne pas oublier combien la distinction entre la sphère de la famille et celle de l’école a été cruciale dans l’émancipation des femmes. Cette distinction a été réellement mise en œuvre par les enseignants, les enseignantes et aussi les formateurs et formatrices de l’éducation populaire, à travers une histoire forte et difficile.

Surtout, il nous paraît de toute première urgence que partout sur cette planète, l’école soit pour les jeunes filles un lieu qui déploie toutes les possibilités d’apprentissage. Rappelons à cet égard des faits inquiétants. L’émancipation des femmes est en partie menacée en Europe, à travers des positions ultra conservatrices grandissantes au sein de plusieurs pays européens. Et sur la planète, les violences faites aux femmes ne cessent de s’aggraver. Face à cela, il nous paraît essentiel de rappeler à nos responsables l’importance cruciale d’une éducation qui ouvre de nouvelles portes par rapport aux injonctions de l’environnement social et culturel.

Nous avons actuellement le sentiment d’un incroyable gâchis, nous qui sommes engagées dans les associations, gâchis dont il faudrait sortir au plus vite. Pourquoi s’enfermer dans un cadre qui oppose à la menace d’écoles islamistes une position de résignation, alors que nous possédons, en Communauté française de Belgique, une véritable mine méthodologique, développée tant dans le champ scolaire que dans le champ associatif? Nous possédons des méthodes et des démarches transitionnelles, qui depuis plus d’un siècle n’ont cessé de s’enrichir, que de nombreux pays nous envient. Ces méthodes et démarches transitionnelles proposent des processus permettant d’accueillir toutes les jeunes filles, de n’exclure personne, en partant de ce que chacune représente, tout en élaborant des cheminements pour avancer vers une évolution personnelle et collective. Les mouvements de femmes en Communauté française sont à cet égard une véritable mine d’or et ont accumulé une expertise immense, mais c’est le cas aussi pour les associations de jeunesse et les pédagogies scolaires ne sont pas en reste non plus.

L’école, si on s’en réfère aux objectifs généraux du Décret définissant les missions de l’enseignement obligatoire, a au moins une double perspectiveet deux grandes orientations sont confiées aux acteurs de terrain: favoriser l’intégration du jeune dans la société, tout en soutenant son développement personnel, et en même temps favoriser chez chaque jeune une démarche critique à l’égard des injonctions de l’environnement proche ou lointain. Les mêmes enjeux sont également à l’œuvre dans les décrets régissant la politique de jeunesse; dont les Organisations de Jeunesse et les Centres de Jeunes. Comment être fidèles à de tels objectifs?

5. Faire société: un défi permanent!

Oui il est urgent de sortir des amalgames et des confusions… Revenons aux réalités!

Il est urgent de repréciser qu’il n’est nullement question d’interdire la manifestation publique des pratiques religieuses et de leurs symboles, ni de contester aux jeunes gens et aux jeunes filles, dans ce qui relève de leur vie personnelle hors école, la liberté de s’habiller comme ils l’entendent et qu’enfin en soi le caractère religieux du foulard et du voile (outre qu’il relève de la tradition plutôt que du Coran en tant que tel) n’est pas fondamentalement ce qui pose problème à l’école!

Les faits dans ce débat médiatique sont constamment mal qualifiés et les prises de position ne font qu’ajouter confusion et brouillard dans une situation déjà très difficile à aborder sur le terrain.

Rappelons rapidement que les écoles maternelles, primaires et secondaires (en charge de jeunes mineurs) qui ont élaboré un cadre normatif autour du port du foulard – avec des variations dans les options prises – l’ont fait souvent après des années d’expérience, non pas parce qu’a priori le voile posait problème en soi (c’est un bout de tissu) mais parce que dans un nombre important de cas, ce port s’accompagnait d’un réseau d’attitudes, de refus, de blocages, d’injonctions entravant gravement pour les jeunes filles concernées l’apprentissage et l’expérience scolaire. Le problème est non seulement de ne jamais pouvoir s’en défaire, même quand les circonstances l’exigent ou le demandent (circonstances qui ne se limitent pas à la gymnastique et à la natation!), mais surtout que le porter entraîne souvent l’interdiction de vivre les mêmes expériences que les autres (dont entre autres les fêtes, soirées, excursions, voyages, stages, échanges internationaux…), expériences festives ou éducatives. C’est bien souvent à la suite de difficultés très sérieuses et récurrentes que des écoles ont été amenées petit à petit à proposer ou à élaborer des dispositions normatives, variables d’ailleurs. Un scénario fréquent: des écoles ont prôné au départ des démarches de négociations, option intéressante en soi, mais dont l’échec, dans un certain nombre de cas (à ne pas généraliser d’ailleurs), a provoqué la mise sur pied d’un cadre normatif plus global; d’autres ont gardé une démarche de négociations, avec rigueur et fermeté.

Dans un certain nombre d’écoles en outre, les cadres normatifs en la matière ont été élaborés en collaboration avec les associations de parents et même le cas échéant avec des délégués étudiants. Ces cadres normatifs d’ailleurs ne concernent pas que le voile mais aussi d’autres attributs, objets et vêtements portés par des jeunes de toutes origines: de plus en plus, des jeunes viennent à l’école avec leur Ipod, leur ordinateur portable pour entre autres entretenir leur désir d’un suivi passionné et quasi permanent avec leurs contacts facebook, leurs consoles, leurs objets familiers…

Une comparaison a toujours ses limites, mais pour éclairer l’enjeu de l’école obligatoire, destinée à des enfants et à des jeunes mineurs, nous prendrons l’exemple du chirurgien ou de la chirurgienne. Lorsqu’une telle personne entre dans une salle d’opération, elle abandonne ses bijoux, les symboles sacrés et autres attributs qu’elle porte habituellement, pour mener au mieux sa mission; et il ne lui vient pas à l’idée de s’interrompre au milieu d’un geste chirurgical pour s’adonner à des prières ou à d’autres rites spirituels. Cette personne également revêt un vêtement totalement réglementaire et identique pour tous. Nul ne songe pourtant à considérer que l’on «interdit» à cet homme ou à cette femme des choix et des signes religieux et nul ne voit dans ce processus une quelconque stigmatisation ou une perte insupportable d’identité: simplement la mise en suspens provisoire des pratiques et symboles fait partie de l’expérience elle-même; elle la rend possible, elle en représente une obligation constitutive. Et c’est à travers cette mise en suspens que la rencontre et la diversité des sensibilités et compétences vont pouvoir jouer à plein. Ce qui est vrai pour la salle d’opération l’est aussi pour une infinité d’autres actions humaines, professionnelles ou bénévoles, dont celles tournées vers l’intérêt général et le bien commun.

D’une certaine manière, il en va de même pour l’école; la sphère de l’école n’est pas la sphère familiale, ni celle du milieu d’appartenance. L’apprentissage scolaire et la socialisation que l’école permet nécessitent de mettre provisoirement en suspens ce à quoi l’on tient peut-être le plus, pour simplement vivre toutes les dimensions de l’apprentissage et en retirer quelque chose: expérimenter de nouvelles postures, de nouveaux choix… Savoir progressivement grâce à l’éducation distinguer les sphères de la vie, leurs registres propres, leurs contraintes diverses; tout cela est essentiel pour l’accès à une égalité des chances, l’accès à des perspectives professionnelles ou de développement personnel et social. Que les jeunes soient incapables d’opérer cette différentiation entre les sphères de la vie les condamne pour l’avenir!

Or la manière dont la vision de l’identité, essentielle, unique, absolue, sacrée est constamment avancée dans cette histoire fait littéralement froid dans le dos; l’identité absolue et intouchable, cela rappelle d’horribles souvenirs. D’autant que lorsqu’on lit les objectifs généraux qui chapeautent le décret «Missions de l’enseignement obligatoire», c’est au contraire la construction d’une identité plurielle qui est confiée à l’école!

Si les jeunes filles concernées n’ont en effet jamais – ou seulement dans des circonstances trop étroites de type «piscine» – l’occasion d’enlever leur foulard ou leur voile en dehors de leur vie familiale, elles se condamnent pour l’avenir à une vie professionnelle réduite et même à une vie personnelle réduite, sans possibilités notamment et entre autres de faire du sport de haut niveau ou de la plongée sous-marine, ou bien de se tourner vers certaines pratiques artistiques: les exemples de perspectives interdites peuvent ainsi se multiplier à l’infini.

C’est à l’école que les filles et les garçons, de toutes cultures et de toutes origines, peuvent, dans de bonnes conditions, comprendre que le voile, les tenues de plage, la casquette… sont provisoirement mis en suspens, parce que les circonstances y invitent ou l’exigent, même si cela est ressenti comme difficile ou frustrant.

C’est cette capacité à opérer une distinction entre les sphères, c’est cette disposition qui est aujourd’hui gravement en crise chez de nombreux jeunes, non pas de leur fait, mais en raison des situations sociales, économiques et du contexte qui leur est imposé. Cela dépasse très largement la seule question du foulard et ce symptôme est inquiétant; pour que les éducateurs et les enseignants puissent y répondre, il faut un réel travail d’analyse et d’élucidation.

Des réponses rapides, prises sous la pression voire dans la peur, ne feront qu’aggraver le quotidien. On peut considérer qu’il s’agit chez de nombreux jeunes d’une difficulté «à faire société», en mettant au dessus de tout des références personnelles ou familiales ou encore des références communautaires; si cet état d’esprit venait à se généraliser partout et même à l’école, lieu de socialisation par excellence, nous craignons de voir se fragiliser pour les générations à venir les principes de solidarité et les exigences collectives qui ont façonné notamment notre sécurité sociale. Il ne s’agit nullement d’anéantir la singularité culturelle ou l’individu, mais bien de les articuler au vivre ensemble.

Nous souhaitons vivement que tous ceux qui ont en charge ce problème ne se laissent pas enfermer par les termes actuels du débat, car ces termes qualifient de manière erronée les réalités de l’éducation et les questions qui se posent aux éducateurs, œuvrant tant à l’école que dans les associations de jeunesse.

Il serait injuste et irresponsable de considérer par exemple que les enseignants et les directions confrontés à des problèmes d’apprentissage et d’implication dans la vie scolaire ont agi par racisme ou sur base d’un a priori borné; dans les écoles travaillant depuis de longues années en milieu populaire, c’est d’abord et avant tout la préoccupation du vivre ensemble et de l’accès des jeunes filles à une égalité des chances qui prévaut. De nombreuses jeunes filles d’ailleurs, que l’on n’entend pas dans le vacarme, trouvent leur compte dans les mesures en place actuellement. A-t-on cherché à le savoir? Quelle perception est majoritaire?

Surtout, il serait irresponsable de déréguler brutalement des dispositions éducatives prises sur base d’un vécuet d’une analyse. Dans la mesure, en effet, où sont concernés par la même difficulté différents signes et attributs et différents comportements, bien au-delà du foulard, chaque école ou chaque association doit pouvoir élaborer, avec des partenaires, des règles qui valent pour tous et toutes, au risque de provoquer entre jeunes de graves tensions. A des chances en effet d’être ressenti comme juste ce qui est requis pour tous et toutes; on ne peut accorder aux unes ce qu’on refuse aux autres. Et voilà une autre grave source d’inquiétude pour les parents, les éducateurs ou les enseignants: que l’école et les associations de jeunesse deviennent otages des exigences particulières de chaque milieu d’appartenance, qu’il s’agisse d’exigences religieuses ou autres,plongeant les équipes pédagogiques et leur direction dans une véritable cacophonie normative, totalement contraire à un apprentissage de qualité, qui fera de l’éducation une mission impossible, et cela plus encore dans les milieux fragilisés.

Ainsi en ce qui concerne les réalités sociales de terrain hors écoles, les animateurs de Maisons de Jeunes ont souvent tiré le signal d’alarme face à l’offensive de certaines mouvances politico-religieuses, dont les jeunes filles sont otages. Dans plusieurs Maisons de Jeunes, on constate souvent une aggravation de leur condition depuis 10 ans, sans que cela émeuve grand monde. De plus en plus, des jeunes filles, ou même des gamines, subissent des pressions dures pour être reconnues comme de «bonnes musulmanes» de la part de leurs frères, des imams, des parents, de leur communauté. S’imaginer toutefois que ces jeunes filles vont pouvoir s’exprimer librement et dire spontanément comment elles ressentent les choses, sans soutien et travail d’accompagnement, est d’une niaiserie invraisemblable pour qui connaît le terrain de près. Depuis trois ou quatre ans environ, il est en outre parfois exigé de toutes petites filles qu’elles portent aussi le foulard ou le voile, à l’école maternelle et primaire: parler de liberté de conviction dans ce cas est pour le moins étrange!

On constate enfin concernant les lieux de loisirs et de participation culturelle, dédicacés à tous les jeunes en principe, financés sur des bases de mixité égalitaire, que dans de nombreux quartiers urbains, mais parfois aussi ruraux, les filles en sont littéralement exclues.

Bien entendu, notre société renforce cela, en ne donnant pas leurs chances aux jeunes de milieux populaires et en multipliant les injustices. Il nous parait urgent de formuler, vis-à-vis des jeunes, des messages non brouillés, de réaliser une transmission des fondements de l’expérience démocratique. Car les difficultés évoquées sont à situer dans un contexte. De nombreux jeunes vivent des situations sociales très dures et sont systématiquement exclus du marché de l’emploi; ils subissent constamment, au sein de leurs quartiers et dans leur vie, des rapports de force injustes. En même temps, au niveau international, les déséquilibres géopolitiques, défavorables à des régions ou pays arabes notamment, jouent aussi un rôle, encourageant chez nous comme ailleurs la diffusion du wahhabisme. A l’heure de la mondialisation, ce qui se passe ailleurs se joue aussi ici.

6. Des méthodes et des démarches transitionnelles: une prospective

Nous souhaitons formuler des pistes prospectives comme conclusions à notre réflexion.

Un préalable: Il nous semble urgent de soustraire fermement les petites filles (du maternel et du primaire) à des injonctions incompatibles avec leur âge, au risque de porter gravement atteinte aux droits de l’enfant.

Nous proposons de privilégier quelques jalons éducatifspour les filles – et les garçons – en âge d’école secondaire:

1. Il est important de préserver l’objectif éducatif amenant les filles – et les garçons – à mettre en suspens, dans le temps scolaire ou éducatif, les tenues et surtout les références qui limitent leur découverte de l’expérience éducative dans toutes ses dimensions.

2. Il s’agirait de garantir en même temps l’accès à toutes les jeunes filles menacées d’une éventuelle exclusion, en mettant en place, en début de scolarité du secondaire, des démarches d’accueil et d’accompagnement, au sein des établissements scolaires mais aussi au sein des associations, en proposant de façon structurée et progressive des méthodes transitionnelles, favorisant le passage d’une sphère de vie à une autre, dans le respect et au sein d’espaces de parole.

Pour ce faire, il serait utile de collecter et de valoriser plus systématiquement qu’aujourd’hui l’immense capital de méthodes transitionnelles, accumulées par les mouvements associatifs, et notamment de valoriser les approches de genre développées ces dernières années au Nord comme au Sud de la planète. Une telle collecte n’a jamais été faite de façon complète et transversale chez nous.

3. Pour élaborer ces dispositifs d’accueil, mettre en synergie l’éducation formelle et non formellereprésenterait une option novatrice; par exemple, mettre sur pied un collectif – méthodes, en faisant appel à un maximum de mouvements de femmes tournés vers l’éducation; en valorisant également l’expérience développée en maisons de jeunes ou en associations de jeunesse, ainsi que dans des projets scolaires, entre autres…

4. Une orientation nouvelle nous semble prometteuse: associer à la construction de dispositifs d’accueil et de transition, en début de scolarité secondaire, les professeurs de Religion islamique (et pourquoi pas les autres?), ceux qui manifesteraient un intérêt et une loyauté à l’égard de cette approche.

5. Pourquoi ne pas favoriser, au cours de l’année scolaire, des moments de «découvertes croisées» des textes sacrés et philosophiquesde différentes cultures? À mener par des professeurs non en charge de cours religieux, mais en charge de cours généraux, de façon à amener un réel accès à la diversité et à la pratique d’une exégèse autonome. Découvrir ensemble ce que les textes disent; ce qu’ils ne disent pas…

6. Il s’agirait aussi d’aborder avec tous les jeunes les réalités géopolitiques internationales, leurs déséquilibres et les affrontements qu’elles provoquent.

7. Enfin, nous soutenons une politique de jeunesse transversale qui valoriserait les instances représentatives de la jeunesse en Communauté française de Belgique, pour avoir des relais permanents avec les réalités et les injustices de terrain et y chercher des remèdes.

N.B: Tout qui se rend régulièrement au Québec sait que les «accommodements raisonnables», évoqués comme solutions, sont loin de représenter une panacée universelle et que les débats sont encore très vifs, la société québécoise étant dans l’ensemble exigeante à l’égard d’une discrétion publique des signes; les applications les plus intéressantes sont celles qui rejoignent les démarches transitionnelles, en ayant comme objectif une intégration pleine à l’expérience sociale. Autre source intéressante de la francophonie: le texte complet des motivations de la Commission Stasi (chargée par Chirac de clarifier la question du voile à l’école mais qui a travaillé bien au-delà); ce texte est riche et intéressant, notamment dans la conscience d’une responsabilité internationale à l’égard des femmes en lutte: chacun se souviendra en effet du cri des jeunes iraniens et iraniennes lors des manifestations «Avec Moussavi, sans le voile!»

P.S

Quelques méthodes à déployer: à titre d’exemples, autour de la nécessaire distinction des sphères, des démarches de terrain ont été menées, il y a quelques années, dans le champ de l’éducation non formelle, à travers des mises en situations concrètes. Ainsi a-t-on fait vivre une scène de tribunal où des jeunes, accusés injustement pour un délit non commis et par ailleurs défenseurs ardents des Palestiniens, – ce qui est leur droit le plus strict – se voyaient confrontés à un juge portant la kippa ou la coiffe des juifs orthodoxes. De même, ont été simulées des situations de classes où les professeurs arrivaient tantôt avec la kippa évoquée plus haut, tantôt avec une tenue ecclésiastique de haut niveau, tantôt en moine bouddhiste, etc.: chaque fois, les jeunes en ont ressenti un grave malaise. Bien sûr, il s’agit là de rôles incarnant l’autorité, qui ne peuvent être confondus avec la posture de l’étudiant, mais précisément cette posture d’autorité face aux jeunes rend d’autant plus sensible et douloureuse la confusion des sphères et permet de vivre de l’intérieur l’importance du principe de séparation en démocratie. De telles confusions au niveau de la justice en particulier aggraveraient en effet ce qui est déjà vécu par certains comme une justice de classe ou une justice de pronostic ethnique (c’est-à-dire une justice moins optimiste dans ses pronostics de réhabilitation quand il s’agit de jeunes liés à des «ethnies»).

Voile islamique: arguments et opinion

par Françoise Claude, Secrétariat général des Femmes Prévoyantes Socialistes

Il n’est pas étonnant que la problématique du voile islamique revienne régulièrement à la une de nos débats démocratiques: elle est l’une des plus délicates auxquelles les sociétés occidentales ont à faire face. Elle les confronte impitoyablement à leurs limites et à leurs manques: application incomplète des principes démocratiques sur lesquels elles sont pourtant fondées, inégalités sociales, racisme, gestion peu éclairée de l’immigration, graves discriminations de sexe, volonté persistante de contrôler la sexualité des femmes, école à deux vitesses, intolérable injustice des rapports Nord/Sud, passé colonial très mal soldé, définition floue de la laïcité et des rapports religion/état, peur du terrorisme, relations internationales difficiles…

Oui, c’est un peu à tout ça que ce bout de tissu sur la tête de quelques femmes renvoie, qu’elles en soient conscientes ou non. C’est un peu tout ça qui repose, bien malgré elles, sur les frêles épaules de la plupart des jeunes filles concernées, même si certaines sont parfaitement au fait de la symbolique multiple dans laquelle elles prennent position.

Un mouvement féministe, progressiste et laïque comme les FPS est particulièrement concerné par ces problématiques, qui peuvent prendre plusieurs formes. Pour ne rester que dans l’actualité récente, il y a évidemment la question du port du voile à l’école et dans l’administration, mais aussi celle de la burqa ou du niqab [1] dans l’espace public en général, et bien sûr celle qu’a ouverte Mahinur Ozdemir, élue CDH, en siégeant voilée au Parlement de la Région bruxelloise.

D’abord l’égalité

Parmi toutes les questions de société auxquelles renvoie le voile, la première et la plus importante pour nous est celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, outre qu’il n’est exigé que pour les femmes, ce qui est déjà en soi une discrimination, la signification du voile est très clairement sexuelle. En effet, il est présenté par ceux et celles qui en promeuvent l’usage comme une façon de protéger les femmes des regards masculins supposés concupiscents, tout en évitant aux hommes de «pécher» en ressentant pour elles des désirs présumés coupables. C’est une des raisons pour lesquelles, d’ailleurs, nous sommes particulièrement choquées de voir de toutes jeunes filles, voire des enfants, le porter. Elles ne sont pourtant pas des partenaires sexuelles possibles.

Car, et ce n’est paradoxal qu’en apparence, le port du voile désigne les femmes uniquement comme corps, comme partenaire sexuel potentiel. Et pourtant, une femme en rue ce peut être une travailleuse qui se rend à son boulot, une promeneuse qui se balade, une consommatrice qui fait ses courses, une fille, une mère, une sœur, une amie, qui évidemment ne se vit pas constamment comme «chargée» sexuellement; c’est bien sûr aussi le cas des femmes voilées, sauf qu’en permanence celles-ci proclament à tout homme qu’elles croisent, qu’il y pense ou non, «pas touche!». Son vêtement la rend à chaque instant «sexuelle», comme si c’était le seul rôle qui lui était autorisé.

L’image des hommes et de la façon dont ils gèrent leurs pulsions ne ressort vraiment pas grandie de tout cela… Beaucoup refusent cette image d’eux-mêmes en violeurs ou pédophiles potentiels et se sentent parfaitement capables de croiser tous les jours des dizaines de femmes sans jamais songer à se jeter sur elles. Le soutien de ces hommes soucieux de justice, qu’ils soient de tradition musulmane ou non, pourrait être décisif pour faire progresser la cause de l’égalité. Car le voile est bel et bien une atteinte à la liberté sexuelle et à l’autonomie des femmes, d’autant plus qu’il fait très injustement peser sur elles la responsabilité des «péchés» des hommes.

Qu’on nous comprenne bien: loin de nous l’idée que seul l’islam serait inégalitaire et sexiste. En cette matière, la société belge et européenne n’a pas beaucoup de leçons à donner à quiconque. Pour s’en convaincre s’il en était besoin, il suffit d’observer les discriminations salariales, le partage (ou l’absence de partage) des responsabilités familiales, la ségrégation professionnelle et scolaire, la très faible représentation des femmes dans les emplois considérés comme les plus prestigieux et les plus chargés de pouvoir, et, bien sûr, les chiffres terrifiants de la violence qui tous les jours les frappe et les tue. Ces injustices criantes sont d’ailleurs la raison de notre combat pour l’égalité, c’est-à-dire de notre féminisme. Tout notre engagement démontre que nous ne pouvons pas être suspectées de vouloir occulter la domination subie par les femmes européennes, même lorsque nous parlons de celle subie par les femmes de tradition musulmane. Dans toutes les cultures, la domination des femmes a d’ailleurs des fondements en grande partie identiques.

C’est ce même féminisme qui nous fait prendre position aujourd’hui à propos du voile; nous ne pouvons en effet pas soutenir l’idée que la démocratie, l’égalité, les droits humains auraient quelque raison que ce soit d’être modulés différemment en fonction de l’origine ethnico-culturelle des personnes qu’ils protègent. S’ils sont «à géométrie variable» ces principes perdent leur raison d’être. Car comment les modulerait-on: en fonction de la famille d’origine, de la naissance? Du pays ou du lieu de résidence? Du sexe? De la couleur de peau?

Mais aussi la laïcité

Une autre question à laquelle nous sommes attachées est celle de la laïcité de l’espace public. Contrairement à ce que beaucoup affirment, l’islam n’est pas en soi incapable de concevoir la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir étatique. Le christianisme lui aussi, et en particulier le catholicisme, a très longtemps et très vigoureusement combattu cette séparation, même si on passe souvent sous silence cette partie de l’Histoire. Aujourd’hui encore, des forces de différentes tendances, mais se revendiquant du christianisme, exercent un lobbying puissant pour imposer leurs vues (contre l’IVG par exemple) dans les cercles du pouvoir: Parlement européen et Commission européenne, administration américaine à l’époque de la présidence de George Bush, partis politiques, etc. Islam, christianisme ou quelque religion que ce soit n’existent que par les êtres humains qui les portent. Qu’on les appelle religions, philosophies ou idéologies, les cultures et les familles de pensée humaine n’ont pas d’existence autonome et seront toujours exactement et uniquement ce que leurs adeptes en feront.

Le christianisme, à part certaines obédiences protestantes, ne peut pas se targuer non plus d’être plus égalitaire que les autres religions: exclusion des femmes de la prêtrise, interdiction de la contraception, rejet de l’homosexualité, réaffirmation permanente des rôles traditionnels des femmes etc. N’existe-t-il pas en Grèce un territoire totalement interdit aux femmes pour raisons religieuses (monastères orthodoxes du mont Athos), la Constitution grecque allant même jusqu’à entériner cette interdiction?

Mais revenons au voile: Paul de Tarse, le premier vrai théoricien du christianisme, a écrit:

Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête: il est l’image et la gloire de Dieu; mais la femme est la gloire de l’homme. […] Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance […] [2].

C’est que la coutume du port du voile par les femmes du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient précède de longtemps le christianisme tout autant que l’islam. C’est dans cet environnement culturel qu’il s’est d’ailleurs maintenu également pour les femmes de tradition chrétienne, jusqu’au 20ème siècle dans certaines régions. Par contre, en s’étendant vers le Nord, le christianisme a rencontré des ethnies qui ne connaissaient pas cette coutume, et l’obligation du port du voile s’y est estompée, tout en s’y maintenant sous une forme adoucie. Sortir «en cheveux», c’est-à-dire tête nue, représentait encore sinon une impossibilité, au moins une transgression importante pour les femmes d’Europe occidentale jusqu’aux années 1950, surtout dans les milieux aisés. à cette époque, des ateliers de modistes prospéraient encore dans toutes nos villes. Il était en particulier impensable d’entrer dans une église sans porter de chapeau (ou, souvent, une «mantille», c’est-à-dire un foulard en dentelle).

Après ces quelques rappels historiques, revenons-en aux principeset rappelons que la laïcité n’est pas une opinion parmi d’autre [3]. Elle est le principe qui permet à toutes les autres de s’exprimer. Sans la laïcité, pas de liberté religieuse. La liberté religieuse et le traitement égal de tous les citoyens, quelle que soit leur opinion et y compris l’athéisme, impliquent que l’état ne se déclare affilié à aucune religion. Cette laïcité est donc un élément constitutif indispensable de la démocratie. Elle est aussi un facteur de pacification de la société puisqu’elle promeut les valeurs que peuvent partager et qui unissent tou-tes les citoyen-nes (démocratie, liberté d’expression et de culte, égalité de tous et toutes) [4].

Qu’on affecte, comme en Belgique, d’appeler cela «neutralité» au lieu de laïcité n’y change rien. La dite neutralité a surtout servi depuis longtemps à permettre des accommodements avec les cultes, et en particulier le culte catholique, parfois bien au-delà du raisonnable: financement, par l’impôt de tous, des cultes et de leurs dignitaires (et, plus récemment, de la «laïcité organisée»), financement d’autres réseaux d’enseignement que l’officiel, cours de religions et de morale non confessionnelle obligatoires pour tous de 6 à 18 ans etc.

Et la justice sociale

La politique menée par la Belgique en matière d’intégration des populations d’origine étrangère laisse apparaître de très nombreuses failles: la mixité sociale n’est souvent qu’un vœu pieux, que ce soit à l’école où dans les quartiers des villes. L’égalité dans l’accès àl’emploi est très loin d’être atteinte. Le repli «entre soi» des habitant-es de certains quartiers que l’on peut qualifier de ghettos, et que la Belgique a laissés s’installer, est entre autres le fruit de ces injustices qu’il serait temps de combattre réellement, et pas seulement en paroles. Pour illustrer ces discriminations, nous ne nous attarderons que sur un seul critère, mais on pourrait en citer bien d’autres: si, en Belgique, environ 10% de l’ensemble de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, ce taux monte à 55% pour les personnes d’origine marocaine et 58% pour les personnes d’origine turque [5]. Quelle légitimité peut avoir un discours sur le «vivre ensemble» face à ces exclusions et ces rejets? Comment pourraient-ils apparaître autrement qu’une vaste hypocrisieaux yeux des personnes victimes de ces discriminations?

À l’école

De plus en plus d’écoles secondaires, et même primaires, qui autorisaient le port du voile par les jeunes filles musulmanes, se sont trouvées confrontées à des difficultés de cohabitation voire à des manœuvres prosélytes en direction des jeunes filles non voilées, ainsi qu’à des remises en cause diverses concernant la mixité scolaire, l’accès des filles à toutes les activités, le contenu de certains cours. Elles se sont donc résolues, souvent avec regret, à revenir sur ce qu’elles considéraient pourtant comme une politique d’ouverture et de tolérance, et ont interdit le port de tout signe religieux, ou de tout couvre-chef, dans leurs locaux.

C’est le silence (pour ne pas dire la démission) des élus et des gouvernements qui a ainsi amené les directions et les équipes éducatives, au cas par cas, à se confronter à des responsabilités qui devaient selon nous relever du politique. Il est temps de mettre fin aux doutes et aux hésitations dans lesquelles on a jusqu’à présent laissé les directions d’école. Un décret interdisant le port tout signe religieux dans l’enseignement obligatoire doit intervenir rapidement.

C’est que l’école est – ou tend idéalement à être – un lieu d’émancipation par le savoir, par la réflexion et par le questionnement, de façon à la fois individuelle et collective. S’y présenter en affirmant par un signe ostensible que l’on possède déjà toutes les réponses est donc contraire à la mission de base de l’enseignement. Ce n’est pas trop demander à celles qui ont cette croyance, de la garder dans l’intimité de leur cœur le temps de la classe.

C’est aussi que l’école est – ou tend idéalement à être – un lieu d’égalité. Or, comme on l’a dit, le voile islamique affirme au contraire une inégalité fondamentale entre les sexes. Si, par comparaison, des adeptes de l’hindouisme souhaitaient importer dans nos écoles le système des castes (partie intégrante de cette religion), notre système démocratique s’y opposerait immédiatement, fermement et sans discussion. L’égalité des sexes est un principe aussi important que l’égalité tout court. Elle en fait intégralement partie.

Et puisque nous sommes en Belgique, il faut préciser que nous revendiquons l’interdiction du port du voile dans tout l’enseignement obligatoire, y compris l’enseignement libre, car ce sont des mineures qui y sont éduquées. Le consentement des mineur-es est en soi problématique et on ne peut pas parler dans leur chef de «libre choix». Ce principe est déjà largement appliqué dans tous les autres secteurs du droit. Dès lors, l’enseignement libre subventionné est tout aussi concerné que l’officiel; en tant que pouvoir subsidiant et responsable politique de tout l’enseignement fondamental et secondaire, rien n’interdit à la Communauté française d’édicter des règles qui exigent, dans les écoles qu’elle organise ou subventionne, le respect des principes fondamentaux de la démocratie. Elle le fait d’ailleurs déjà pour d’autres principes idéologiques, par exemple dans son décret «missions» [6].

Ceci doit s’accompagner impérativement d’une politique sans faille et très volontariste d’égalité, tant sociale et ethnique que de sexe, qui doit être menée absolument à tous les niveaux de responsabilité. Il est urgent que l’école de la Communauté française obtienne enfin, en termes d’égalité, des résultats à la hauteur de ses ambitions déclarées et des souhaits de sa population.

Dans la fonction publique

Suite entre autres à une note du SPF Justice, préconisant l’autorisation pour les fonctionnaires de travailler voilées, un troisième débat se fait jour chez nous: faut-il autoriser le port du voile islamique (ou tout autre signe d’appartenance religieuse) aux fonctionnaires, enseignant-es, ministres, magistrat-es, infirmières des hôpitaux, puéricultrices de crèches etc. qui sont, par leur métier et leur fonction, investies d’une certaine part de l’autorité de la puissance publique qui les emploie, ou dans certains cas finance leur emploi au service du public? Il serait contraire au principe de neutralité de l’état que celui-ci soit représenté, à quelque niveau que ce soit, par quelqu’un qui affirme haut et fort une idéologie particulière. Il en va d’ailleurs déjà ainsi des signes d’appartenance politique qui ne sont pas autorisés à ces différents types de fonctionnaires (au sens large).

Certains préconisent de moduler le débat en fonction de deux critères: le fait d’être ou non en contact avec le public d’une part, et le niveau de responsabilité d’autre part. On peut cependant craindre que ce type d’ «accommodements» soient source de tensions et de remises en question permanentes, parce qu’ils induiraient beaucoup d’incertitude juridique. Dans le cas du voile, ils auraient aussi pour effet de renforcer des discriminations déjà existantes, car ils feraient coïncider «port du voile» avec «carrière bloquée», bloquée dans des fonctions basses et non visibles. Ce qui est déjà globalement le lot de beaucoup de femmes. En outre, ils introduiraient de facto des différences de traitement entre collègues, une sorte de loi d’exception réservée aux adeptes les plus fondamentalistes des religions.

Et les élu-es?

À l’inverse des services (au) public(s) et des gouvernements qui, en démocratie, ne peuvent tolérer autre chose que la neutralité, les Parlements quant à eux sont le lieu même de la diversité politique. Madame özdemir, qui siège voilée au Parlement bruxellois, proclame par sa vêture des idées que nous ne partageons pas. Mais ce sont ses opinions et c’est avec cette apparence que ses électeurs ont voulu la porter là où elle est. C’est le paradoxe et la gloire de la démocratie que de donner aux membres des assemblées qu’elle instaure la liberté d’y exprimer leur idéologie, y compris si elle s’éloigne de ses propres principes fondamentaux. En tant que parlementaire, elle ne représente que ses électeurs et le parti qui l’a inscrite sur ses listes. Il en irait bien sûr tout autrement si elle devenait ministre ou fonctionnaire, ce qui la placerait d’office dans une obligation de neutralité.

Burqa et niqab

Un autre débat revient encore: faut-il autoriser – ou non – le port dans l’espace public, et donc y compris en rue, de tenues qui cachent non seulement les cheveux et le cou mais aussi le visage des femmes? [7] On connaît la burqa afghane munie d’un petit grillage en tissu, et le niqab, longue cape noire portée entre autres par les Saoudiennes, qui ne laisse qu’une mince fente au niveau des yeux. Selon les régions, il existe d’autres tenues coutumières couvrant le visage, mais jusqu’à présent burqa et niqab sont celles que l’on rencontre le plus dans nos régions.

Cela pose non seulement des questions de sécurité [8], mais en outre, il y a par rapport au simple voile ou même au tchador une différence fondamentale. La philosophe française Catherine Kintzler, professeure à l’Université Lille III, parle dans ces cas d’une dépersonnalisation indifférenciée. Au-delà même des arguments s’appuyant sur la laïcité ou l’égalité des sexes, elle met en avant une sorte de «rupture de contrat» entre êtres humains, l’appartenance au genre humain impliquant que chacun-e de nous soit un individu unique, assimilable à aucun autre et se présentant comme tel à tous. Je la cite:

Plus que des signes religieux, plus que des marques infamantes rivées au corps des femmes, niqab et burqa sont aussi plus que des masques. Ces vêtements, véritables trous noirs forés dans la constitution humaine, ne se contentent pas de celer la singularité d’une personne en faisant obstacle à son identification à la manière d’un masque de carnaval, ils font bien davantage: ils la rendent indiscernable de toutes celles qui portent ce vêtement, lequel n’a vraiment de sens, si l’on y réfléchit bien, que par sa multiplicité. C’est d’ailleurs sa multiplication qui alerte les élus et l’opinion.

Sous nos yeux se forme non pas une population bigarrée mais une collection d’identiques sans identité personnelle. Identiques par leur apparence néantisante, mais aussi par leurs gestes ou plutôt leurs non-gestes entravés uniformément.

A la non-identification, burqa et niqab ajoutent l’indifférenciation. […] Imaginons que tout le monde porte le même masque, que nous soyons tous des éléments intrinsèquement indiscernables et réputés tels: ce ne serait plus un monde humain, ce serait une collection formée par de pures extériorités. Voilà ce que sont les femmes pour le sectarisme qui les raye de la visibilité ordinaire en leur imposant une visibilité de négation: une simple collection. En la personne d’une femme, c’est donc bien l’atome constitutif de l’humanité civile et politique, sujet, auteur et finalité du droit, qui est aboli: on ne voit plus, tache aveugle et aveuglante, que la trace noire de son effacement.

En Belgique, il faut noter que de nombreux règlements communaux, parfois très anciens, interdisent le port de masques, de cagoules etc. sur la voie publique en dehors des périodes de carnaval. Certaines communes ont récemment actualisé ces règlements pour qu’ils soient applicables aux burqas et niqabs. Chaque année, plusieurs dizaines de procès-verbaux sont d’ailleurs dressés aux contrevenantes.

Les voiles qui cachent le visage des femmes, leur dénient toute individualité et ainsi les excluent symboliquement de l’humanité, portent encore un peu plus loin le rejet, le déni, la haine du féminin. Pour les FPS, ils ne peuvent être tolérés dans aucun espace public.

Pour conclure

Parmi les personnes de tradition musulmane pas plus que dans n’importe quel autre groupe, il n’y a d’homogénéité de pensée. Exactement comme parmi les personnes issues de familles chrétiennes, certain-es maintiennent avec plus ou moins de ferveur la foi et les pratiques cultuelles de leurs ancêtres, alors que d’autres y renoncent complètement ou partiellement. Comme dans tous les groupes, on trouve aussi parmi les populations d’origine musulmane tous les échelons de la conscience et de l’engagement politique, avec des options se répartissant sur tout l’échiquier, de la gauche à la droite, ou encore du républicanisme pur et dur à la française jusqu’au communautarisme le plus replié. Face à cette diversité, pourquoi les médias ne donnent-ils souvent que l’image de l’islam le plus intolérant? Pourquoi les populations issues de l’immigration ne sont-elles présentées que comme posant problème? La société dans son ensemble, et les personnes de toutes origines, auraient pourtant tout intérêt à voir soutenues les tendances les plus tolérantes et ouvertes, plutôt que de voir toujours montés en épingle les groupes qui font des divisions et des tensions sociétales leur fonds de commerce… Et ce sont là des problèmes belgo-belges: il est de plus en plus clair que l’islam n’est plus un objet d’importation dans notre pays, mais qu’il en est bel et bien devenu une composante interne à part entière. De quelque bord qu’elle vienne, la position qui consiste à opposer islam et occident ne dispose d’aucune base historique réelle et ne sert que les théories les plus guerrières.

En ce qui concerne en particulier les femmes, pourquoi les nombreuses parlementaires issues de l’immigration musulmane qui ne proclament pas en permanence leurs (éventuelles) affiliations religieuses, ne font-elles jamais la une? Sans compter les innombrables élues communales… toutes ces femmes qui s’impliquent dans la politique belge depuis de nombreuses années parfois, auraient-elles moins de choses à dire, ou des choses moins intéressantes, que Mahinur Özdemir, que l’on a entendue et vue jusqu’à plus soif au moment de son investiture? Le travail quotidien des associations de femmes et des mouvements d’éducation permanente, qui pratiquent au jour le jour le débat, la participation et la formation des femmes, ne mériterait-il pas lui aussi un peu d’écho et de visibilité? Car c’est grâce à toutes ces femmes, politiques, travailleuses et participantes des associations, que pourra s’implanter et croître l’idéal démocratique et égalitaire.

Françoise Claude, Secrétariat général des Femmes Prévoyantes Socialistes

Notes

ˆ1. Deux formes de voile qui ont la particularité de cacher entièrement le visage des femmes, et non pas seulement leurs cheveux et leur cou.
ˆ2. Première épître aux Corinthiens, 11. Cité par Rosine Lambin, Paul et le voile des femmes, revue Clio n° 2 (1995), Presses Universitaires du Mirail.
ˆ3. Contrairement à ce que son mode de financement «à la belge» pourrait laisser croire. Car en Belgique l’état finance, comme il finance les cultes, l’organisation associative d’un certain groupe philosophique, ainsi que les cours de «morale laïque», destinés aux enfants dont les parents sont athées, agnostiques ou adeptes d’un culte non financé par l’état.
ˆ4. En cela elle se distingue d’ailleurs du concept de «diversité», qui implique au contraire que les personnes se définissent en premier par ce qui les distingue des autres.
ˆ5. Rapport «Pauvreté chez les personnes d’origine étrangère», Fondation Roi Baudouin, 2007.
ˆ6. Décret du 24/7/1997 définissant les missions de l’enseignement fondamental et secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.
ˆ7. Bien qu’il soit extrêmement lourd à porter, ceci ne concerne donc pas le tchador iranien, qui ne couvre pas le visage.
ˆ8. Ainsi sont évoqués la crainte du terrorisme, ou le fait qu’une directrice de crèche ou d’école ne devrait pas accepter de remettre un enfant à une personne dont elle ne peut pas connaître l’identité, etc.

En pleine « islamofolie »

Par Marcel Bauwens et Michèle Coerten

Nous naviguons en pleine «islamofolie», une zone dangereuse où la raison, la logique, le respect des faits n’ont plus cours. La «Nef des fous», le bateau où sont embarqués les Humains, n’avance plus au moteur mais au voile islamique. En pleine tempête! Pas étonnant que certain(e)s y perdent le nord…

Essayons de faire le point en repartant à zéro.

Depuis des décennies, nous accueillons dans ce pays des immigrés de toutes origines. Nous ne sommes pas «racistes». Et nous n’avons de problèmes qu’avec la seule communauté musulmane. C’est un fait indéniable. La raison en est politico-religieuse. L’Islam n’est pas une religion proprement dite, c’est une vision théocratique totalitaire. De là une série d’exigences comminatoires que nous ne pouvons admettre. Ceux et celles qui prennent des positions dans le débat sur «le voile» devraient avoir l’honnêteté intellectuelle de lire le Coran (Internet: taper «le Saint Coran»); Ca demande évidemment un effort! Mais si chacun(e) faisait cet effort, on débattrait en connaissance de cause.

On verrait enfin que les «féministes laïques» qui se prononcent pour le port du voile (aussi des enfants? Sinon à partir de quel âge?) sont sans doute des masochistes qui aiment être battues (4/34). C’est le droit de Zoe Genot, députée fédérale Ecolo. de se revendiquer de cette tendance en encourageant le prosélytisme islamique. Molière connaissait déjà le phénomène. Il fait dire à Martine, dans Le médecin malgré lui: «Il me plaît d’être battue» (1)

Demandez donc au collectif des femmes battuesce qu’elles en pensent. Chez nous des femmes aussi sont battues. Par violence, par alcoolisme. Pour les musulmanes, la pratique est, en plus, sacralisée par un texte religieux! Il va de soi que tous les Musulmans ne battent pas leur(s) femme(s), bien que le texte coranique puisse apparaître comme un encouragement à le faire!

Signe politique

Le voile islamique n’est PAS un symbole religieux. Sinon les hommes pieux revendiqueraient aussi le droit de le porter. La question du port du voile n’est pas non plus une démarche anodine. C’est un signe d’une importance politique capitale. Comment expliquer sinon le nombre de télévisions du monde entier, mais surtout des pays islamiques, venues assister à la prestation de serment de Mahinur Özdemir comme députée au Parlement bruxellois? C’est un symbole, qui draine, en plus, les rancoeurs légitimes du conflit israélo-palestinien. Les télévisions ne déplacent pas des équipes à l’étranger pour «un bout d’étoffe»ou un caprice de jeune fille !

Soumission

Les femmes – laïques ou non – qui prônent le port du voile se prononcent également, ce faisant, et en connaissance de cause pour la soumission de la femme à l’homme (4/34). Elles prolongent indûment dans la vie sociale, la soumission sexuelle que l’on dit «naturelle» de la femme. Elles renoncent à leur liberté. La femme voilée se soumet aussi par crainte des responsabilités. C’est la «servitude volontaire» (2). Qu’en disent les membres du mouvement «Ni putes, ni soumises»? Une chose est sûre: si elles sont soumises, les femmes voilées ne sont pas des putes. Ce sont celles qui ne portent pas le voile qui sont automatiquement traitées de putes?

Les femmes voilées sont aussi désintéressées puisqu’elles trouvent normal de ne toucher, en cas d’héritage, que la moitié de la part d’un garçon (4/11). Et elles acceptent, comme allant de soi, qu’il faille le témoignage de deux femmes pour s’opposer à celui d’UN homme. Des femmes modernes quoi!

«Interdit d’interdire»

C’était l’un des slogans de mai 1968. Il a figuré sur des pancartes brandies par de jeunes femmes voilées sous la forme: «interdire: supprimer. Mots à condamner!» Tiens donc! Mais l’Islam dont elles brandissent le voile INTERDIT à une musulmane d’épouser un non-musulman, interdit à un musulman de changer de religion, interdit les relations sexuelles avant le mariage, interdit la liberté d’expression, interdit d’être non-croyant, interdit de consommer des produits contenant de l’alcool ou du porc, etc., etc… C’est la paille et la poutre! Car, enfin, les laïcs n’entendent interdire le port du voile QUE dans les écoles publiques et dans les services publics seulement. Là où ils entendent faire respecter le principe de neutralité de l’Etat et préconisent le principe de la séparation des Pouvoirs religieux et de l’ Etat. Partout ailleurs chacun fait ce qu’il veut… Il y a des limites à ne pas franchir, c’est tout. Et encore trop?

L’enjeu

Le véritable enjeu est celui du pouvoir dans le monde. L’organisation des «Frères musulmans», équivalent de l’»Opus Dei» catholique, y travaille dans l’ombre. Son but affirmé: conquérir le monde entier pour l’Islam. Il s’agira dès lors de choisir entre un régime politico-religieux absolutiste et un régime libéral relativiste. Exagération? Vision inspirée par un laïcisme intolérant? Non! Déduction imposée par les FAITS que voici:

  • Les pouvoirs islamiques au plus haut niveau ont préparé trois projets de «déclarations universelles islamiques des droits de l’homme» (textes sur Internet). L’Islam rejette ainsi la «Déclaration universelle des Droits de l’Homme» votée par les Nations-Unies en 1948. Les «féministes laïques» (sic!) et toutes les «islamofollesdu voile» ont-elles remarqué que, dans ces textes islamiques a disparu l’égalité de droits de la femme pour être remplacé par une vague notion d’égalité de dignité?
  • A l’initiative des pays islamistes, l’ONU a voté une résolution demandant aux Etats membres de condamner tout «dénigrement» d’une religion. Qui va faire la distinction entre une critique justifiée de la religion et le dénigrement? Un tribunal religieux?

Derrière le port du voile islamique se profile bien autre chose que la protection de la pudeur de jeunes filles. Et d’ailleurs quel est le péril qui les guette? La libido incontrôlée des mâles?

Ceci dit, il ne faut pas prendre tout immigré pour un islamiste fondamentaliste et terroriste. Cette gigantesque lutte pour le pouvoir universel nous dépasse tous et se joue par-dessus nos têtes de citoyen(ne)s ordinaires. Soyons solidaires des immigrés d’esprit libéral et des femmes musulmanes qui n’entendent pas se voir imposer chez nous le voile qu’elles voulaient enlever dans leur pays d’origine sans pouvoir le faire.

Les «féministes laïques» (sic – y aurait-il donc un groupement de «féministes religieuses»???) trahissent doublement la cause des femmes: celles de notre pays dont les mères, les grand-mères se sont battues pour obtenir l’égalité des sexes et, PIRE, celle des femmes des pays musulmans qui se battent, elles, encore au péril de leur vie:

  • Pour avoir le droit de montrer leur visage
  • Pour avoir le doit de prendre un amant
  • Pour avoir le droit à leur féminité, de se maquiller, de s’habiller comme elles en ont envie
  • Pour avoir le droit d’être soignée par un médecin homme
  • Etc., etc.

Toutes choses qui nous paraissent normales, à nous, Occidentales qui avons lutté contre un catholicisme obscurantiste qui nous reléguait au rang de citoyennes de seconde zone. Et auxquelles nos «féministes laïques» décernent maintenant un «nihil obstat»! (rien ne s’oppose) au port du voile islamique.

Les chiffres entre parenthèses dans le texte: le premier renvoie à la sourate, le second au verset du Coran)

Note 1: scène première
Note 2: Discours sur la servitude volontaire d’Etienne de la Boétie
Note 3: en 1978, une délégation du Comité International du Droit des Femmes demanda à être reçue par l’ayatollah Khomeini pour protester contre l’obligation faite aux femmes, dès son accession au pouvoir, de porter le voile. L’ayatollah exigea qu’elles se présentent voilées (avait-il donc peur de ne pouvoir réprimer sa libido???). Après d’âpres discussions entre elles (on les comprend!) elles décidèrent que le plus important était de se faire entendre de l’ayatollah. Il les reçut. Mais n’ouvrit pas la bouche. Nos «féministes laïques» sont-elles prêtes à prendre un avion vers Téhéran, Peshawar… pour défendre leurs «sœurs»?
Note 4: créé en 2008, le Prix Simone de Beauvoir a été attribué ex-aequo à Ayaan Hirsi Ali et à Tasliman Nasreen. Cette année, il fut attribué aux collectif iranien «1 million de signatures» de femmes réclamant l’abolition des lois islamiques discriminant les femmes. Est-ce un hasard si ce prix va, par trois fois, à des femmes musulmanes?

Marcel Bauwens et Michèle Coerten

Confusion et ignorance

par Marcel Bauwens

Je suis abasourdi de lire la dernière «carte blanche» sur le voile islamique. («Le Soir» du 20 août). Il a fallu me rendre à l’évidence: le texte n’est pas né sous la plume d’un Imam, mais est dû à deux femmes, intellectuelles de surcroît.

Elles mettent en doute le niveau d’information d’Alain Destexhe et Claude Demelenne. C’est la paille et la poutre. Si elles avaient jamais pris la peine de lire le Saint Coran, livre de chevet de tout bon musulman elles sauraient que la femme y est totalement soumise à l’homme sur le plan du statut social, qui n’a rien à voir avec la religion. C’est plus grave: il s’agit de dispositions de code civil totalement opposées aux principes de droit que nous avons dû conquérir. En portant le voile, les femmes musulmanes se revendiquent de cette vision rétrograde. Par ailleurs, elles entendent ainsi se distinguer, et donc se distancier de nos femmes. Qui fait de la discrimination?

Les signataires de cette «carte blanche» disent que leurs critères sont: 1° l’égalité hommes-femmes. Un principe totalement exclu par le Coran. 2° le droit à l’expression. Or, à l’initiative des pays islamiques, on a voté aux Nations unies une résolution demandant aux Etats membres de sanctionner tout «dénigrement des religions». On met le doigt dans l’engrenage. 3° la construction d’une société émancipatrice et tolérante. Et c’est en travaillant à l’affirmation et à l’expansion d’une vision théocratique totalitaire qu’on y arrivera?

Ni les immigrés chinois, africains ou autres n’ont créé de problèmes. Les ressortissants des pays islamiques en créent parce qu’ils veulent nous imposer, au nom d’une tolérance religieuse qu’ils n’appliquent pas eux-mêmes, le respect de leurs rites. Nous leur permettons de tenir, dans les mosquées que nous payons, un discours anti-démocratique et antilibéral.

Demandez aux malheureux membres de la secte Ba’hai, assassinés par milliers en Iran, ce qu’ils pensent de la tolérance. Religion de paix? Alors, pourquoi sunnites et chiites s’exterminent-ils mutuellement?

Ceux qui tentent d’avertir d’un danger totalitaire ont un «discours alarmiste»? Tant mieux s’ils se trompent! Mais il y a un terrible précédent dans l’aveuglement: ceux et celles qui n’ont pas voulu croire à ce qui est arrivé sous l’Allemagne hitlérienne. Comparaison injustifiable? Toutes les forces totalitaires, minoritaires au départ, mais qui visent le pouvoir absolu à pensée unique, commettent les mêmes crimes. Et la masse des citoyens Lambda se rallie à ces terroristes par peur. Voilà le mécanisme qui se mettra en route, si on ne résiste pas, à temps, aux exigences cumulées des représentants de l’Islam. Un pouvoir s’étend jusqu’à ce qu’un contre-pouvoir l’empêche d’aller plus loin? Gare à la confusion et à l’ignorance!

Marcel Bauwens

La femme dans l’Islam. Une déesse opprimée

par Marie-Christine Exsteyl

Contexte

L’actualité du mois de juin dernier a accéléré, ou peut-être débloqué une porte, quant à l’impasse qui planait sur la réalisation d’un grand débat et d’une prise de position claire des instances dirigeantes de notre pays en matière de port, dans l’exercice de la fonction publique, de signes OSTENTATOIRES ou tout au moins qui pourrait être perçus par d’aucuns comme une marque de prosélytisme ou de rattachement à une religion, une philosophie ou à une coutume tribale.

En effet l’élection et la prestation de serment d’une jeune femme voilée auprès du Parlement Bruxellois, le 24 juin dernier, ont relancé la polémique et l’intérêt des médias; comme elle est la première députée voilée d’Europe continentale même une équipe d’Al Jézira était dans l’hémicycle pour filmer sa prestation de serment.

Le député Denis Ducarme a annoncé qu’il déposait une proposition de loi cosignée par des parlementaires d’autres parti afin d’interdire le port d’insigne religieux ou culturel ostentatoire.

Afin que nous puissions rendre un avis réaliste et motivé, il est nécessaire de brosser en premier lieu la description du contexte, des interactions agissant dans son champ, les rétroactes de la cause de la problématique afin de SAVOIR, d’obtenir une vision globale de la problématique évitant ainsi au maximum des arguments d’ordre EMOTIONNELS ou que d’aucuns nous reprocheraient d’être «orientés».

L’approche historique aussi bien que l’analyse de la situation se rapportant à la problématique dans d’autres pays nous permettront d’élargir notre réflexion grâce au mécanisme des comparaisons ou des similitudes.

Historiquement les écrits de l’Islam (Coran, Hadiths, SIRA, Tafsir, Chroniques) ont une histoire et des ans d’histoire!

Les travaux scientifiques d’études sur ces textes (15. 000 textes sur le site: http//islam-documents. org) montrent que ces textes (d’ailleurs même remarque pour les textes sacrés et historiques créant la religion catholique) ont été établis peu à peu au fil des années, des interprétations et bien après le décès des icônes sacrées que sont devenus Muhammad ou Jésus.

Les historiens parmi les plus objectifs prouvent que les textes du Coran, entre autres, ont été rassemblés tout au long d’une période allant de 30 ans à 70 ans après 632 de notre ère et sont d’extractions diverses:

  • Traditions juives issues du Pentateuque,
  • Vestiges de mythologie et de poésie arabe,
  • Codes de lois, interprétations chrétiennes eschatologiques y compris de la liturgie syriaque,
  • Histoire connue sur «la vie» de Mahomet dit «le prophète» et référence centrale de la Sunna est principalement une construction postérieure et de la période abbasside.

Par exemple, une analyse menée par Fethi Benslama dans «La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam» parue aux Editions Aubier en 2002 essaie d’expliquer l’ampleur des passions qui se déchaînent autour du voile, celui-ci étant pensé par l’Islam comme la solution à un problème anthropologique fondamental: le désir humain et la définition de la responsabilité.

Un détour par l’histoire originelle telle qu’elle est racontée dans les sourates, nous permettra de mieux mesurer l’emprise de l’histoire.

Histoire du 7ième siècle racontée par TABARÎ dans «Muhammad, sceau des prophètes» Edition Sinbad:

  • Un jour, en entrant sans permission et sans avertissement dans la maison de son fils adoptif Zayd, le prophète surprend l’épouse de ce dernier en tenue légère.
  • Il est troublé et captivé par la vue de cette femme dont on dit qu’elle fut très belle.
  • Devançant le désir du prophète et le dessein de dieu, Zayd divorce de sa femme, laquelle interpelle aussitôt le prophète, vivant dans la crainte et le tourment du désir: et maintenant?
  • Alors, non seulement Dieu autorise leur mariage mais il le fait célébrer par les anges.
  • Il n’en fallait pas moins pour oser affronter le trouble et obtenir la légitimation.

Dans le mouvement même par lequel la sourate («Les factions» XXX, 3) lui fait don de la femme de l’autre, elle lui interdit d’en prendre d’autres:

  • «Il n’est point licite à toi de prendre encore d’autres femmes fusses-tu ravi par leur beauté» (V, 5)

Simultanément, l’adoption comme pratique antéislamique est interdite; Zayd n’était pas le fils de Muhammad «Muhammad n’est le père de nul de vos mâles» (V, 42).

Ayant écarté le grief incestueux contre le prophète, la règle s’attaque alors à la racine du risque et généralise le voile.

  • «Ô prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des CROYANTS de serrer sur elles leurs voiles. Cela sera le plus simple moyen qu’elles soient reconnues et qu’elles ne soient point offensées»(V, 59)

L’auteur commente comme ceci cette partie de sourate

  • «Dans la mesure où les femmes ravissent les hommes jusqu’à les mener à risquer la transgression de l’inceste, l’interdit lié au voile trouve sa raison dans la menace que fait courir l’extrémité du désir humain sur l’ordre social.»

Dans cette vision, le voile n’est pas «un signe religieux ostentatoire», c’est au contraire, dit l’auteur, la dissimulation du CORPS de la femme en tant que celui-ci est en lui-même une source de fascination, un signe (anti)religieux ostentatoire.

Lorsque les musulmans revendiquent le fait de respecter la femme parce qu’ils la voilent, il faut comprendre qu’ils voient dans la dissimulation de son corps, la reconnaissance même d’un pouvoir quasi divin de la femme en tant que corps.

Cela est corroboré dit l’auteur par une autre histoire fondamentale de l’Islam

  • La première fois où Muhammad reçoit «le message divin», ne sachant pas si l’être surnaturel qu’il voit est un ange ou un démon, il se confie à sa première femme Khadija.
  • Celle-ci soumet alors l’être surnaturel à un test: elle se dévoile et demande à Mahomet «est-ce que tu le vois toujours?»
  • Il répond par la négative; alors Khadija lui dit «réjouis-toi, ce n’est pas un démon mais un ange» (voir l’étude de Fethi Benslama).

D’après ce récit dit-elle, on voit que la femme dans l’Islam est considérée comme douée d’un pouvoir sacré: à la vue de sa tête dénudée, les anges s’enfuient.

C’est par cette démonstration par l’absurde que Khadija rassure Muhammad du caractère divin de l’apparition qui lui révèle le Coran. Ces deux scènes sont absolument capitales pour comprendre le statut de la femme en Islam.

Elle n’est pas l’égale de l’homme, elle lui est métaphysiquement supérieure puisqu’elle peut agir sur un être surnaturel et c’est pour cette raison même qu’il faut DOMESTIQUER son pouvoir et la dissimuler sous un voile.

C’est cette structure mythique fondamentale qui se heurte de front à notre modernité explique l’auteure. Le rôle du regard dans la genèse du désir se retrouve aussi dans la civilisation occidentale.

Dans les Evangiles par exemple se pose le même problème de la fascination et de l’origine du désir à travers le regard: Evangile selon Matthieu 5. 27-29.

Mais alors que les Evangiles mettent en avant la responsabilité de celui qui regarde (pour lui adjoindre d’arracher son œil si celui-ci le pousse à la convoitise), l’Islam opte pour la responsabilité de celle qui se montre à l’œil concupiscent.

Les deux religions résolvent le problème d’une manière extrême car pour elles le danger est extrême; l’exacerbation des désirs engendre toujours la rivalité, la guerre, la mort et la destruction. L’Islam par la dissimulation du corps de la femme voudrait résoudre radicalement ce problème du désir en empêchant son apparition explique l’auteure.

Par le voilement du corps ostentatoire de la femme, on élimine complètement la responsabilité individuelle, à la fois du côté de la femme et de celui de l’homme. Grâce à ce simplisme, il n’y a plus de culpabilité et la femme n’est pas considérée comme douée d’un désir INDEPENDANT.

La conception occidentale est basée sur l’exact opposé de cette vision mécaniste, c’est l’individu qui est considéré responsable de ses pulsions et désirs, non pas l’OBJET. Posé en ces termes, la rencontre entre l’Occident et l’Islam est un choc symbolique d’une violence inouïe; tout ce que nos cultures ont construit sur la base du refoulement et de la sublimation est inutile pour l’Islam.

Ayaan Hirsi Ali raconte dans son autobiographie qu’en lisant à l’école des livres de la Bibliothèque Rose, elle savait que c’était résister à l’Islam; elle s’autorisait la première chose qu’une bonne musulmane doit s’interdire: ressentir du désir en dehors du mariage (in: «Ma vie rebelle», Nil Editions, Paris 2006).

L’auteure constate encore que paradoxalement pour relever concrètement les femmes musulmanes, il faudrait les rabaisser dans l’esprit des hommes; ce sont eux qui devraient être rassurés quant à leur pouvoir de résister aux charmes indéniables du beau sexe; si la PEUR des hommes musulmans devant l’attrait des femmes diminuait, celles-ci pourraient gagner en liberté concrète ce qu’elles perdraient par ailleurs en statut mythique.

Nous aborderons dans un prochain article des exemples d’intolérances et d’assujettissement divers imposés aux femmes musulmanes (ou culturellement intégrés par elles) qui découlent, en partie et en partie seulement de l’histoire du 6ième au 8ième siècle et de ses diverses interprétations par «les religieux» au cours des siècles et des événements politiques de notre époque.

Marie-Christine Exsteyl

Vers un recul du droit à l’avortement et un retour des politiques natalistes?

par Sigrid Dieu

Du 20 au 22 juin 2012, une Conférence des Nations Unies sur le développement durable s’est tenue à Rio (Brésil). Vingt ans après le Sommet de la Terre, cette conférence intitulée Rio +20 a réuni les dirigeants du monde entier dans le but de prendre des engagements décisifs non seulement pour le développement durable mais aussi pour l’avenir de la planète. Elle s’est clôturée par une Déclaration finale [1].

Une montagne qui a accouché d’une souris. En effet, aux yeux de bon nombre d’observateurs et d’acteurs qui ont analysé le document, le résultat est sans appel: la Déclaration se caractérise par sa faible portée, son langage imprécis et son absence de vision globale [2]. Mais ce qui frappe essentiellement le commun des mortels, ce sont les résistances au niveau des droits humains, et notamment au niveau des droits sexuels et de procréation des femmes [3].

Les organisations de femmes et féministes qui ont pris part à la Conférence Rio +20 sont déçues et épuisées dans leur combat incessant pour sauvegarder leurs acquis précédents [4]. Il faut dire que le libéralisme économique effréné, modèle économique dominant mais aussi certaines régressions culturelles ou religieuses ont généré de nouvelles égalités entre les femmes et les hommes et ont rendu de plus en plus précaires les conditions de vie des femmes alors même que dans les régions du sud, ce sont sur les épaules des femmes que repose la responsabilité du «care» dans sa globalité.

Quoi qu’il en soit, Rio +20 demeurera synonyme de recul pour les femmes dans le monde. Ainsi, les articles de la déclaration politique portant sur «l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes» [5] (gender equality and women empowerment) ne font plus référence au terme «droit» à la santé sexuelle et de la procréation, ils ne parlent plus que de «santé sexuelle et de la procréation».

En Belgique et en Europe, la Plate-forme pour le droit à l’avortement a publié récemment [6] un communiqué de presse en référence à la Conférence des Nations Unies Rio +20 et à sa Déclaration finale , communiqué de presse dans lequel elle dénonce le nouveau revers subi par les femmes en matière de droit à l’avortement à l’instar des positions conservatrices de certains Etats dans le monde comme le Nicaragua, le Chili, la Russie, le Honduras, la Syrie, la République Dominicaine, le Costa Rica et l’Egypte sans faire l’impasse de l’influence toute puissante du Vatican sur la question. Une fois de plus, force est de constater qu’aujourd’hui encore, au XXIème siècle, les femmes ne disposent pas du droit de choisir d’enfanter ou pas, bref, du droit de disposer librement de leur corps.

Toujours dans son Communiqué de presse du 02 juillet 2012, la Plate-forme pour le droit à l’avortement laisse bien entendre qu’elle ne manquera nullement d’interpeller les médias, le monde politique et les lobbies pour dénoncer ces positions ultra conservatrices, préjudiciables au droit de la femme à être la seule maîtresse de son propre corps. Parce qu’il y a, selon nous, urgence… double urgence: susciter une véritable prise de conscience de l’ampleur du problème, voire susciter un électrochoc chez ceux qui font preuve d’une inertie certaine, déconcertante face à des attitudes conservatrices et garantir inconditionnellement les droits reproductifs des femmes.

Il est d’autant plus urgent d’agir afin de préserver les jeunes générations des tentations de rallier des thèses ultra-conservatrices en matière de droit à l’avortement. S’il n’est déjà pas trop tard…

En effet, par son dernier Avis sur l’avortement paru le 02 juillet 2012, le Conseil de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (ex-CJEF) [7] n’a vraiment pas raté l’occasion de provoquer des réactions virulentes. Il est vrai que la lecture et l’analyse de cet Avis laissent plutôt pantois. De surcroît, il apparaît que la notion de droit à l’avortement suscite débat même au sein du Conseil, ce qui illustre clairement un sérieux problème de représentativité.

Ainsi si le Conseil de la Jeunesse déclare dans son Avis [8] «soutenir la loi du 04 avril 1990 et les principes qu’elle contient car elle est, à son sens, un acquis social qui ne doit absolument pas être remis en question dans ses fondements (…)», il n’en demeure pas moins que le Conseil se plaît à rappeler que «(…) si une jeune femme dans une situation de grossesse non désirée prend la décision douloureuse d’avorter, le Conseil estime que ce choix doit être le fruit d’un réel consentement. Le Conseil rappelle donc l’importance de l’article 348 de la loi concernant les crimes et les délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique [9] qui stipule que «celui qui, médecin ou non, par un moyen quelconque, aura à dessein fait avorter une femme qui n’y a pas consenti, sera puni de la réclusion de 5 à 10 ans» (…).

Plus inquiétant encore, la poursuite de la lecture de cet Avis nous fait découvrir que si certains membres du Conseil «plaident pour que l’avortement soit reconnu comme un droit humain fondamental en se fondant sur l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme qui prévoit que «tout être humain a droit à la libre disposition de son propre corps» et sur les positions adoptées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui considère que les droits de la femme incluent le droit d’avoir le contrôle et de décider de manière libre et responsable de sa sexualité, de sa santé sexuelle et reproductive, sans pression, discrimination et violence [10] (…); ces membres soulignent également, par solidarité avec les pays où l’accès à l’avortement reste difficile ou est remis en question, la pertinence du rapport du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU du 3 août 2011 affirmant que les Nations Unies devraient garantir, pour toutes les femmes et les filles, un droit d’accès à l’avortement, considérant celui-ci comme faisant partie des Droits de l’Homme», d’autres membres du Conseil, sans mettre en doute le bien-fondé de ces deux droits, «insistent sur le fait que l’avortement ne peut être considéré comme un droit de l’homme comme les autres».

Nous pouvons donc aisément comprendre la levée de boucliers face à de telles prises de position qui ne peuvent qu’apporter de l’eau au moulin aux partisans des politiques natalistes.

A cet égard, il nous semble intéressant d’épingler le programme11 du Front National en France lors de la dernière campagne présidentielle 2012. Le parti de Madame Le Pen prône une «véritable politique familiale volontariste, nataliste et ambitieuse».

En Hongrie, la nouvelle Constitution votée l’année dernière stipule que «la vie du fœtus est protégée dès sa conception», ce qui pourrait conduire à un sévère renforcement de la législation en matière d’avortement sans parler du droit à l’accessibilité à la pilule du lendemain.

Et en Slovaquie, autre pays de l’Union européenne, les méthodes contraceptives ne sont pas à la portée de la plupart des femmes parce qu’elles n’entrent pas dans le système des soins de santé, ce qui constitue une flagrante violation des droits de la femme quant à disposer de son propre corps et à enfanter ou non.

En conclusion, le recul progressif, insidieux auquel nous assistons en matière de droits reproductifs des femmes en Europe et dans le reste du monde nous montre à quel point il est fondamental de réagir à travers le soutien de nouvelles stratégies mises en place dans la défense des droits reproductifs des femmes. Il est surtout grand temps de contrer toutes les initiatives des plus farouches opposants aux droits des femmes dans l’absolu parce que les femmes sont des êtres humains à part entière et non des sous-êtres devant se soumettre et ce au nom de la sacro-sainte domination masculine.

Sigrid DIEU

Notes

^1. Déclaration finale de la Conférence Rio +20: www.adequations.org/IMG/article_PDF/article_a1151.pdf

^2. www.adequations.org/spip.php?article1509

^3. www.adequations.org/spip.php?article1842: «Rio +20: Les femmes défendent leur pleine participation à la réalisation d’un développement durable »

^4. En 1992, «l’Agenda 21 des femmes pour une planète en paix et en bonne santé détaillait déjà les liens entre la dégradation écologique et des conditions de vie et la crise macro-économique, l’inégalité d’accès aux ressources et aux richesses, l’économie de guerre et les conflits armés, l’absence chez les décideurs de valeurs morales et de sens de la responsabilité vis-à-vis des générations futures». Agenda adopté lors du Sommet de la Terre de Rio sur le développement et l’environnement. Pour rappel: «Lesfemmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable». Le chapitre 24 de l’Agenda 21 détaille les objectifs de participation des femmes à tous les processus de décision et la mise en œuvre transversale de l’égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques. in www.adequations.org/spip.php?article1842

^5. www.adequations.org/spip.php?article1841

^6. Communiqué de presse du 02 juillet 2012. www.abortionright.eu

^7. www.conseildelajeunesse.be/Qui-sommes-nous

^8. www.conseildelajeunesse.be/IMG/pdf/Avis_avortement.pdf

^9. Loi du 15 novembre 1978, chapitre Ier « de l’avortement ».

^10. Art. 8 CEDH.

Libres de le dire, Conversations mécréantes de Taslima Nasreen et Caroline Fourest

Flammarion, 2010, 305p., par Denise Deliège

Conversations entre deux esprits libres à propos des droits des femmes, de la liberté d’expression, des religions, des intégrismes… Les deux auteures ont rejeté très jeunes les enseignements doctrinaires et combattent avec talent les intégrismes des diverses religions. Toutes deux prônent une liberté d’expression sans limite et estiment — en le regrettant — que la gauche soutienne les fanatiques islamiques. Elles soulignent que nombre de religions prônent la violence (rappelant Mahomet contre les juifs, le djihad conquérant…). Elles constatent le projet expansionniste des Frères musulmans et le double langage de son zélateur Tariq Ramadan. Toutes deux se révoltent contre les inégalités et les injustices que subissent les femmes et notent que bien des religions oppressent les femmes, notamment le Coran qui spécifie que les femmes sont inférieures, qu’elles doivent obéir à leur mari sous peine d’enfer, que les maris peuvent les fouetter, que les hommes peuvent avoir des relations sexuelles avec leurs femmes captives, même si elles sont mariées. La première femme de Mahomet avait pourtant davantage de droits (elle avait hérité et dirigeait son commerce).

Taslima Nasreen, poète et médecin bengali, a écrit avec grand succès sur les droits des femmes dans son pays, y suscitant un large débat, y compris au sein des couples. Puis elle a été expulsée (sur base d’une loi contre le blasphème), après menaces de mort des intégristes musulmans, irrités de ses prises de position sur les causes de la misogynie (l’islam) et sur certains traits de Mahomet (il a accaparé les biens de juifs, il a épousé Aïcha à 9 ans — ou 19 selon certains historiens —, tout en ayant quelque 30 ans à 40 ans de plus qu’elle). Exilée en Inde (pourtant une démocratie laïque) elle en a aussi été expulsée, pour atteinte aux sentiments religieux de la minorité musulmane. Exilée en Occident, il lui est difficile d’y gagner sa vie et elle se voit privée de tout: sa langue, sa famille, ses amis et son travail d’aide aux femmes de son peuple.

Elle soutient que le patriarcat se sert des religions pour asseoir sa domination. Elle prend la défense de maintes minorités religieuses opprimées. Elle critique nombre de religions, les taxant même de nocives, car souvent ferment de discorde et d’oppression. Elle provoque ainsi des protestations de tous bords. Mais seuls les islamistes la persécutent, alors que la plupart n’ont jamais lu ses écrits. Elle regrette que ces islamistes combattent la démocratie, les droits de l’homme et l’égalité hommes-femmes, tout en bénéficiant d’une liberté d’expression dont sont privés les laïques. Elle soupçonne que des politiques promettront d’appliquer la charia pour obtenir les suffrages de ceuxqui la souhaitent. Elle critique les tortures imposées aux femmes sous l’étiquette de «traditions». On l’accuse d’avoir importé le féminisme occidental, alors qu’à l’origine, elle publiait sans avoir lu le moindre livre féministe.

Caroline Fourest, citant le mufti de Marseille, note que c’est pour devenir plus autonomes que les femmes ont dû se couvrir, alors qu’aujourd’hui, le voile les rend moins autonomes; elle souhaite que l’on en revienne à l’esprit de la règle. Elle signale aussi que Mahomet a voulu soumettre la sanction pour adultère à la présence de quatre témoins oculaires (ce qui l’aurait rendu impossible). Elle a analysé l’intégrisme islamique comme elle l’avait fait auparavant pour l’intégrisme chrétien, mais a immédiatement été taxée d’islamophobie et de racisme. Elle estime que la résistance «homéopathique» est insuffisante pour faire reculer l’intégrisme, mais que des réformes ont été possibles dans les trois religions monothéistes. Elle regrette que des courageux ayant critiqué l’intégrisme perdent leur protection policière (M. Sifaoui en France, Ayaan Hirsi Ali aux Pays-Bas) et prône la création d’un fonds européen pour financer la protection des personnes menacées de morts pour leur liberté d’expression. A défaut, bien des dissidents sont forcés de critiquer uniquement l’islam et de rejoindre l’extrême droite pour obtenir un emploi. Caroline Fourest recommande la bonne façon de résister à l’intégrisme: non pas identitaire, mais universaliste (avoir des droits et devoirs en commun).

Pas de réunion publique en juin 2000

Cela ne signifie pas que le féminisme peut s’endormir ou ronronner de satisfaction. Si certains animaux hibernent et si, beaucoup d’humains de nos régions, s’accordent une interruption estivale de travail (qui implique au contraire, pour d’autres, une activité professionnelle accrue) la préoccupation féministe doit nous accompagner partout, à toute heure et tous les jours, sans interruption. Il n’y a pas seulement des réunions ou des congrès où il faut se rendre ou auxquels il faut être attentif ; même si l’on change quelque peu son rythme de vie, il faut rester l’attention en éveil et observer ce qui se passe autour de soi et ce qui peut susciter et mettre en éveil l’attention des féministes. Nous invitons nos lecteurs et nos lectrices à nous communiquer leurs réflexions et observations « de vacances » dans le domaine qui est le nôtre.

Marche mondiale des Femmes

Marche mondiale des Femmes

Actuellement, les organisations de femmes impliquées dans la MMF internationale préparent leur participation aux actions internationales prévues pour 2010 dans plus de 150 pays. Réunies en octobre dernier à Vigo, en Espagne, elles ont lancé un appel à l’action «Changer la vie des femmes, pour changer le monde. Changer le monde pour changer la vie des femmes» et publié une déclaration commune en réaction à la crise financière «Un autre monde est nécessaire et possible». La MMF internationale organisera une semaine de rencontre du 14 au 17 octobre 2010 dans le Sud Kivu au Congo pour soutenir les femmes qui s’activent à la résolution des conflits et pour dénoncer les violences subies par les femmes. Des associations de femmes marcheront le 17 octobre dans les 164 pays membres de la MMF contre les violences sexuelles perpétrées sur les femmes au Kivu. Les manifestations se termineront par une présence associative et artistique le 10 octobre 2010 au Musée royal d’Afrique centrale à Tervueren. A suivre?