Voile islamique: arguments et opinion

par Françoise Claude, Secrétariat général des Femmes Prévoyantes Socialistes

Il n’est pas étonnant que la problématique du voile islamique revienne régulièrement à la une de nos débats démocratiques: elle est l’une des plus délicates auxquelles les sociétés occidentales ont à faire face. Elle les confronte impitoyablement à leurs limites et à leurs manques: application incomplète des principes démocratiques sur lesquels elles sont pourtant fondées, inégalités sociales, racisme, gestion peu éclairée de l’immigration, graves discriminations de sexe, volonté persistante de contrôler la sexualité des femmes, école à deux vitesses, intolérable injustice des rapports Nord/Sud, passé colonial très mal soldé, définition floue de la laïcité et des rapports religion/état, peur du terrorisme, relations internationales difficiles…

Oui, c’est un peu à tout ça que ce bout de tissu sur la tête de quelques femmes renvoie, qu’elles en soient conscientes ou non. C’est un peu tout ça qui repose, bien malgré elles, sur les frêles épaules de la plupart des jeunes filles concernées, même si certaines sont parfaitement au fait de la symbolique multiple dans laquelle elles prennent position.

Un mouvement féministe, progressiste et laïque comme les FPS est particulièrement concerné par ces problématiques, qui peuvent prendre plusieurs formes. Pour ne rester que dans l’actualité récente, il y a évidemment la question du port du voile à l’école et dans l’administration, mais aussi celle de la burqa ou du niqab [1] dans l’espace public en général, et bien sûr celle qu’a ouverte Mahinur Ozdemir, élue CDH, en siégeant voilée au Parlement de la Région bruxelloise.

D’abord l’égalité

Parmi toutes les questions de société auxquelles renvoie le voile, la première et la plus importante pour nous est celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, outre qu’il n’est exigé que pour les femmes, ce qui est déjà en soi une discrimination, la signification du voile est très clairement sexuelle. En effet, il est présenté par ceux et celles qui en promeuvent l’usage comme une façon de protéger les femmes des regards masculins supposés concupiscents, tout en évitant aux hommes de «pécher» en ressentant pour elles des désirs présumés coupables. C’est une des raisons pour lesquelles, d’ailleurs, nous sommes particulièrement choquées de voir de toutes jeunes filles, voire des enfants, le porter. Elles ne sont pourtant pas des partenaires sexuelles possibles.

Car, et ce n’est paradoxal qu’en apparence, le port du voile désigne les femmes uniquement comme corps, comme partenaire sexuel potentiel. Et pourtant, une femme en rue ce peut être une travailleuse qui se rend à son boulot, une promeneuse qui se balade, une consommatrice qui fait ses courses, une fille, une mère, une sœur, une amie, qui évidemment ne se vit pas constamment comme «chargée» sexuellement; c’est bien sûr aussi le cas des femmes voilées, sauf qu’en permanence celles-ci proclament à tout homme qu’elles croisent, qu’il y pense ou non, «pas touche!». Son vêtement la rend à chaque instant «sexuelle», comme si c’était le seul rôle qui lui était autorisé.

L’image des hommes et de la façon dont ils gèrent leurs pulsions ne ressort vraiment pas grandie de tout cela… Beaucoup refusent cette image d’eux-mêmes en violeurs ou pédophiles potentiels et se sentent parfaitement capables de croiser tous les jours des dizaines de femmes sans jamais songer à se jeter sur elles. Le soutien de ces hommes soucieux de justice, qu’ils soient de tradition musulmane ou non, pourrait être décisif pour faire progresser la cause de l’égalité. Car le voile est bel et bien une atteinte à la liberté sexuelle et à l’autonomie des femmes, d’autant plus qu’il fait très injustement peser sur elles la responsabilité des «péchés» des hommes.

Qu’on nous comprenne bien: loin de nous l’idée que seul l’islam serait inégalitaire et sexiste. En cette matière, la société belge et européenne n’a pas beaucoup de leçons à donner à quiconque. Pour s’en convaincre s’il en était besoin, il suffit d’observer les discriminations salariales, le partage (ou l’absence de partage) des responsabilités familiales, la ségrégation professionnelle et scolaire, la très faible représentation des femmes dans les emplois considérés comme les plus prestigieux et les plus chargés de pouvoir, et, bien sûr, les chiffres terrifiants de la violence qui tous les jours les frappe et les tue. Ces injustices criantes sont d’ailleurs la raison de notre combat pour l’égalité, c’est-à-dire de notre féminisme. Tout notre engagement démontre que nous ne pouvons pas être suspectées de vouloir occulter la domination subie par les femmes européennes, même lorsque nous parlons de celle subie par les femmes de tradition musulmane. Dans toutes les cultures, la domination des femmes a d’ailleurs des fondements en grande partie identiques.

C’est ce même féminisme qui nous fait prendre position aujourd’hui à propos du voile; nous ne pouvons en effet pas soutenir l’idée que la démocratie, l’égalité, les droits humains auraient quelque raison que ce soit d’être modulés différemment en fonction de l’origine ethnico-culturelle des personnes qu’ils protègent. S’ils sont «à géométrie variable» ces principes perdent leur raison d’être. Car comment les modulerait-on: en fonction de la famille d’origine, de la naissance? Du pays ou du lieu de résidence? Du sexe? De la couleur de peau?

Mais aussi la laïcité

Une autre question à laquelle nous sommes attachées est celle de la laïcité de l’espace public. Contrairement à ce que beaucoup affirment, l’islam n’est pas en soi incapable de concevoir la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir étatique. Le christianisme lui aussi, et en particulier le catholicisme, a très longtemps et très vigoureusement combattu cette séparation, même si on passe souvent sous silence cette partie de l’Histoire. Aujourd’hui encore, des forces de différentes tendances, mais se revendiquant du christianisme, exercent un lobbying puissant pour imposer leurs vues (contre l’IVG par exemple) dans les cercles du pouvoir: Parlement européen et Commission européenne, administration américaine à l’époque de la présidence de George Bush, partis politiques, etc. Islam, christianisme ou quelque religion que ce soit n’existent que par les êtres humains qui les portent. Qu’on les appelle religions, philosophies ou idéologies, les cultures et les familles de pensée humaine n’ont pas d’existence autonome et seront toujours exactement et uniquement ce que leurs adeptes en feront.

Le christianisme, à part certaines obédiences protestantes, ne peut pas se targuer non plus d’être plus égalitaire que les autres religions: exclusion des femmes de la prêtrise, interdiction de la contraception, rejet de l’homosexualité, réaffirmation permanente des rôles traditionnels des femmes etc. N’existe-t-il pas en Grèce un territoire totalement interdit aux femmes pour raisons religieuses (monastères orthodoxes du mont Athos), la Constitution grecque allant même jusqu’à entériner cette interdiction?

Mais revenons au voile: Paul de Tarse, le premier vrai théoricien du christianisme, a écrit:

Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête: il est l’image et la gloire de Dieu; mais la femme est la gloire de l’homme. […] Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance […] [2].

C’est que la coutume du port du voile par les femmes du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient précède de longtemps le christianisme tout autant que l’islam. C’est dans cet environnement culturel qu’il s’est d’ailleurs maintenu également pour les femmes de tradition chrétienne, jusqu’au 20ème siècle dans certaines régions. Par contre, en s’étendant vers le Nord, le christianisme a rencontré des ethnies qui ne connaissaient pas cette coutume, et l’obligation du port du voile s’y est estompée, tout en s’y maintenant sous une forme adoucie. Sortir «en cheveux», c’est-à-dire tête nue, représentait encore sinon une impossibilité, au moins une transgression importante pour les femmes d’Europe occidentale jusqu’aux années 1950, surtout dans les milieux aisés. à cette époque, des ateliers de modistes prospéraient encore dans toutes nos villes. Il était en particulier impensable d’entrer dans une église sans porter de chapeau (ou, souvent, une «mantille», c’est-à-dire un foulard en dentelle).

Après ces quelques rappels historiques, revenons-en aux principeset rappelons que la laïcité n’est pas une opinion parmi d’autre [3]. Elle est le principe qui permet à toutes les autres de s’exprimer. Sans la laïcité, pas de liberté religieuse. La liberté religieuse et le traitement égal de tous les citoyens, quelle que soit leur opinion et y compris l’athéisme, impliquent que l’état ne se déclare affilié à aucune religion. Cette laïcité est donc un élément constitutif indispensable de la démocratie. Elle est aussi un facteur de pacification de la société puisqu’elle promeut les valeurs que peuvent partager et qui unissent tou-tes les citoyen-nes (démocratie, liberté d’expression et de culte, égalité de tous et toutes) [4].

Qu’on affecte, comme en Belgique, d’appeler cela «neutralité» au lieu de laïcité n’y change rien. La dite neutralité a surtout servi depuis longtemps à permettre des accommodements avec les cultes, et en particulier le culte catholique, parfois bien au-delà du raisonnable: financement, par l’impôt de tous, des cultes et de leurs dignitaires (et, plus récemment, de la «laïcité organisée»), financement d’autres réseaux d’enseignement que l’officiel, cours de religions et de morale non confessionnelle obligatoires pour tous de 6 à 18 ans etc.

Et la justice sociale

La politique menée par la Belgique en matière d’intégration des populations d’origine étrangère laisse apparaître de très nombreuses failles: la mixité sociale n’est souvent qu’un vœu pieux, que ce soit à l’école où dans les quartiers des villes. L’égalité dans l’accès àl’emploi est très loin d’être atteinte. Le repli «entre soi» des habitant-es de certains quartiers que l’on peut qualifier de ghettos, et que la Belgique a laissés s’installer, est entre autres le fruit de ces injustices qu’il serait temps de combattre réellement, et pas seulement en paroles. Pour illustrer ces discriminations, nous ne nous attarderons que sur un seul critère, mais on pourrait en citer bien d’autres: si, en Belgique, environ 10% de l’ensemble de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, ce taux monte à 55% pour les personnes d’origine marocaine et 58% pour les personnes d’origine turque [5]. Quelle légitimité peut avoir un discours sur le «vivre ensemble» face à ces exclusions et ces rejets? Comment pourraient-ils apparaître autrement qu’une vaste hypocrisieaux yeux des personnes victimes de ces discriminations?

À l’école

De plus en plus d’écoles secondaires, et même primaires, qui autorisaient le port du voile par les jeunes filles musulmanes, se sont trouvées confrontées à des difficultés de cohabitation voire à des manœuvres prosélytes en direction des jeunes filles non voilées, ainsi qu’à des remises en cause diverses concernant la mixité scolaire, l’accès des filles à toutes les activités, le contenu de certains cours. Elles se sont donc résolues, souvent avec regret, à revenir sur ce qu’elles considéraient pourtant comme une politique d’ouverture et de tolérance, et ont interdit le port de tout signe religieux, ou de tout couvre-chef, dans leurs locaux.

C’est le silence (pour ne pas dire la démission) des élus et des gouvernements qui a ainsi amené les directions et les équipes éducatives, au cas par cas, à se confronter à des responsabilités qui devaient selon nous relever du politique. Il est temps de mettre fin aux doutes et aux hésitations dans lesquelles on a jusqu’à présent laissé les directions d’école. Un décret interdisant le port tout signe religieux dans l’enseignement obligatoire doit intervenir rapidement.

C’est que l’école est – ou tend idéalement à être – un lieu d’émancipation par le savoir, par la réflexion et par le questionnement, de façon à la fois individuelle et collective. S’y présenter en affirmant par un signe ostensible que l’on possède déjà toutes les réponses est donc contraire à la mission de base de l’enseignement. Ce n’est pas trop demander à celles qui ont cette croyance, de la garder dans l’intimité de leur cœur le temps de la classe.

C’est aussi que l’école est – ou tend idéalement à être – un lieu d’égalité. Or, comme on l’a dit, le voile islamique affirme au contraire une inégalité fondamentale entre les sexes. Si, par comparaison, des adeptes de l’hindouisme souhaitaient importer dans nos écoles le système des castes (partie intégrante de cette religion), notre système démocratique s’y opposerait immédiatement, fermement et sans discussion. L’égalité des sexes est un principe aussi important que l’égalité tout court. Elle en fait intégralement partie.

Et puisque nous sommes en Belgique, il faut préciser que nous revendiquons l’interdiction du port du voile dans tout l’enseignement obligatoire, y compris l’enseignement libre, car ce sont des mineures qui y sont éduquées. Le consentement des mineur-es est en soi problématique et on ne peut pas parler dans leur chef de «libre choix». Ce principe est déjà largement appliqué dans tous les autres secteurs du droit. Dès lors, l’enseignement libre subventionné est tout aussi concerné que l’officiel; en tant que pouvoir subsidiant et responsable politique de tout l’enseignement fondamental et secondaire, rien n’interdit à la Communauté française d’édicter des règles qui exigent, dans les écoles qu’elle organise ou subventionne, le respect des principes fondamentaux de la démocratie. Elle le fait d’ailleurs déjà pour d’autres principes idéologiques, par exemple dans son décret «missions» [6].

Ceci doit s’accompagner impérativement d’une politique sans faille et très volontariste d’égalité, tant sociale et ethnique que de sexe, qui doit être menée absolument à tous les niveaux de responsabilité. Il est urgent que l’école de la Communauté française obtienne enfin, en termes d’égalité, des résultats à la hauteur de ses ambitions déclarées et des souhaits de sa population.

Dans la fonction publique

Suite entre autres à une note du SPF Justice, préconisant l’autorisation pour les fonctionnaires de travailler voilées, un troisième débat se fait jour chez nous: faut-il autoriser le port du voile islamique (ou tout autre signe d’appartenance religieuse) aux fonctionnaires, enseignant-es, ministres, magistrat-es, infirmières des hôpitaux, puéricultrices de crèches etc. qui sont, par leur métier et leur fonction, investies d’une certaine part de l’autorité de la puissance publique qui les emploie, ou dans certains cas finance leur emploi au service du public? Il serait contraire au principe de neutralité de l’état que celui-ci soit représenté, à quelque niveau que ce soit, par quelqu’un qui affirme haut et fort une idéologie particulière. Il en va d’ailleurs déjà ainsi des signes d’appartenance politique qui ne sont pas autorisés à ces différents types de fonctionnaires (au sens large).

Certains préconisent de moduler le débat en fonction de deux critères: le fait d’être ou non en contact avec le public d’une part, et le niveau de responsabilité d’autre part. On peut cependant craindre que ce type d’ «accommodements» soient source de tensions et de remises en question permanentes, parce qu’ils induiraient beaucoup d’incertitude juridique. Dans le cas du voile, ils auraient aussi pour effet de renforcer des discriminations déjà existantes, car ils feraient coïncider «port du voile» avec «carrière bloquée», bloquée dans des fonctions basses et non visibles. Ce qui est déjà globalement le lot de beaucoup de femmes. En outre, ils introduiraient de facto des différences de traitement entre collègues, une sorte de loi d’exception réservée aux adeptes les plus fondamentalistes des religions.

Et les élu-es?

À l’inverse des services (au) public(s) et des gouvernements qui, en démocratie, ne peuvent tolérer autre chose que la neutralité, les Parlements quant à eux sont le lieu même de la diversité politique. Madame özdemir, qui siège voilée au Parlement bruxellois, proclame par sa vêture des idées que nous ne partageons pas. Mais ce sont ses opinions et c’est avec cette apparence que ses électeurs ont voulu la porter là où elle est. C’est le paradoxe et la gloire de la démocratie que de donner aux membres des assemblées qu’elle instaure la liberté d’y exprimer leur idéologie, y compris si elle s’éloigne de ses propres principes fondamentaux. En tant que parlementaire, elle ne représente que ses électeurs et le parti qui l’a inscrite sur ses listes. Il en irait bien sûr tout autrement si elle devenait ministre ou fonctionnaire, ce qui la placerait d’office dans une obligation de neutralité.

Burqa et niqab

Un autre débat revient encore: faut-il autoriser – ou non – le port dans l’espace public, et donc y compris en rue, de tenues qui cachent non seulement les cheveux et le cou mais aussi le visage des femmes? [7] On connaît la burqa afghane munie d’un petit grillage en tissu, et le niqab, longue cape noire portée entre autres par les Saoudiennes, qui ne laisse qu’une mince fente au niveau des yeux. Selon les régions, il existe d’autres tenues coutumières couvrant le visage, mais jusqu’à présent burqa et niqab sont celles que l’on rencontre le plus dans nos régions.

Cela pose non seulement des questions de sécurité [8], mais en outre, il y a par rapport au simple voile ou même au tchador une différence fondamentale. La philosophe française Catherine Kintzler, professeure à l’Université Lille III, parle dans ces cas d’une dépersonnalisation indifférenciée. Au-delà même des arguments s’appuyant sur la laïcité ou l’égalité des sexes, elle met en avant une sorte de «rupture de contrat» entre êtres humains, l’appartenance au genre humain impliquant que chacun-e de nous soit un individu unique, assimilable à aucun autre et se présentant comme tel à tous. Je la cite:

Plus que des signes religieux, plus que des marques infamantes rivées au corps des femmes, niqab et burqa sont aussi plus que des masques. Ces vêtements, véritables trous noirs forés dans la constitution humaine, ne se contentent pas de celer la singularité d’une personne en faisant obstacle à son identification à la manière d’un masque de carnaval, ils font bien davantage: ils la rendent indiscernable de toutes celles qui portent ce vêtement, lequel n’a vraiment de sens, si l’on y réfléchit bien, que par sa multiplicité. C’est d’ailleurs sa multiplication qui alerte les élus et l’opinion.

Sous nos yeux se forme non pas une population bigarrée mais une collection d’identiques sans identité personnelle. Identiques par leur apparence néantisante, mais aussi par leurs gestes ou plutôt leurs non-gestes entravés uniformément.

A la non-identification, burqa et niqab ajoutent l’indifférenciation. […] Imaginons que tout le monde porte le même masque, que nous soyons tous des éléments intrinsèquement indiscernables et réputés tels: ce ne serait plus un monde humain, ce serait une collection formée par de pures extériorités. Voilà ce que sont les femmes pour le sectarisme qui les raye de la visibilité ordinaire en leur imposant une visibilité de négation: une simple collection. En la personne d’une femme, c’est donc bien l’atome constitutif de l’humanité civile et politique, sujet, auteur et finalité du droit, qui est aboli: on ne voit plus, tache aveugle et aveuglante, que la trace noire de son effacement.

En Belgique, il faut noter que de nombreux règlements communaux, parfois très anciens, interdisent le port de masques, de cagoules etc. sur la voie publique en dehors des périodes de carnaval. Certaines communes ont récemment actualisé ces règlements pour qu’ils soient applicables aux burqas et niqabs. Chaque année, plusieurs dizaines de procès-verbaux sont d’ailleurs dressés aux contrevenantes.

Les voiles qui cachent le visage des femmes, leur dénient toute individualité et ainsi les excluent symboliquement de l’humanité, portent encore un peu plus loin le rejet, le déni, la haine du féminin. Pour les FPS, ils ne peuvent être tolérés dans aucun espace public.

Pour conclure

Parmi les personnes de tradition musulmane pas plus que dans n’importe quel autre groupe, il n’y a d’homogénéité de pensée. Exactement comme parmi les personnes issues de familles chrétiennes, certain-es maintiennent avec plus ou moins de ferveur la foi et les pratiques cultuelles de leurs ancêtres, alors que d’autres y renoncent complètement ou partiellement. Comme dans tous les groupes, on trouve aussi parmi les populations d’origine musulmane tous les échelons de la conscience et de l’engagement politique, avec des options se répartissant sur tout l’échiquier, de la gauche à la droite, ou encore du républicanisme pur et dur à la française jusqu’au communautarisme le plus replié. Face à cette diversité, pourquoi les médias ne donnent-ils souvent que l’image de l’islam le plus intolérant? Pourquoi les populations issues de l’immigration ne sont-elles présentées que comme posant problème? La société dans son ensemble, et les personnes de toutes origines, auraient pourtant tout intérêt à voir soutenues les tendances les plus tolérantes et ouvertes, plutôt que de voir toujours montés en épingle les groupes qui font des divisions et des tensions sociétales leur fonds de commerce… Et ce sont là des problèmes belgo-belges: il est de plus en plus clair que l’islam n’est plus un objet d’importation dans notre pays, mais qu’il en est bel et bien devenu une composante interne à part entière. De quelque bord qu’elle vienne, la position qui consiste à opposer islam et occident ne dispose d’aucune base historique réelle et ne sert que les théories les plus guerrières.

En ce qui concerne en particulier les femmes, pourquoi les nombreuses parlementaires issues de l’immigration musulmane qui ne proclament pas en permanence leurs (éventuelles) affiliations religieuses, ne font-elles jamais la une? Sans compter les innombrables élues communales… toutes ces femmes qui s’impliquent dans la politique belge depuis de nombreuses années parfois, auraient-elles moins de choses à dire, ou des choses moins intéressantes, que Mahinur Özdemir, que l’on a entendue et vue jusqu’à plus soif au moment de son investiture? Le travail quotidien des associations de femmes et des mouvements d’éducation permanente, qui pratiquent au jour le jour le débat, la participation et la formation des femmes, ne mériterait-il pas lui aussi un peu d’écho et de visibilité? Car c’est grâce à toutes ces femmes, politiques, travailleuses et participantes des associations, que pourra s’implanter et croître l’idéal démocratique et égalitaire.

Françoise Claude, Secrétariat général des Femmes Prévoyantes Socialistes

Notes

ˆ1. Deux formes de voile qui ont la particularité de cacher entièrement le visage des femmes, et non pas seulement leurs cheveux et leur cou.
ˆ2. Première épître aux Corinthiens, 11. Cité par Rosine Lambin, Paul et le voile des femmes, revue Clio n° 2 (1995), Presses Universitaires du Mirail.
ˆ3. Contrairement à ce que son mode de financement «à la belge» pourrait laisser croire. Car en Belgique l’état finance, comme il finance les cultes, l’organisation associative d’un certain groupe philosophique, ainsi que les cours de «morale laïque», destinés aux enfants dont les parents sont athées, agnostiques ou adeptes d’un culte non financé par l’état.
ˆ4. En cela elle se distingue d’ailleurs du concept de «diversité», qui implique au contraire que les personnes se définissent en premier par ce qui les distingue des autres.
ˆ5. Rapport «Pauvreté chez les personnes d’origine étrangère», Fondation Roi Baudouin, 2007.
ˆ6. Décret du 24/7/1997 définissant les missions de l’enseignement fondamental et secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.
ˆ7. Bien qu’il soit extrêmement lourd à porter, ceci ne concerne donc pas le tchador iranien, qui ne couvre pas le visage.
ˆ8. Ainsi sont évoqués la crainte du terrorisme, ou le fait qu’une directrice de crèche ou d’école ne devrait pas accepter de remettre un enfant à une personne dont elle ne peut pas connaître l’identité, etc.

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