Le Tribunal du Moyen Âge

Le tribunal de Lille a défrayé la chronique par sa décision d’annuler un mariage entre deux musulmans à la demande du conjoint (présenté comme «lettré» et «modéré»). Le motif invoqué par l’époux était qu’il estimait avoir été trompé sur la marchandise, n’ayant pas pu constater la virginité de l’épousée lors de la nuit de noce?et de n’avoir pu, comme le veut la tradition de sa Communauté d’origine, exhiber un drap taché de sang devant les invités de la noce.

Malgré une première levée de boucliers d’hommes et femmes politiques (de gauche comme de droite) et de plusieurs personnalités qui défendent l’égalité entre les femmes et les hommes, la Ministre de la Justice, Rachida Dati, légitimait ce jugement sous prétexte que cette annulation de mariage constituait un moyen de protéger l’épouse.

S’il nous semble effectivement très plausible que la séparation devait correspondre aussi au souhait et à l’intérêt de cette femme, il nous apparaît au contraire que la décision prise est extrêmement dangereuse et préjudiciable pour d’autres femmes à l’avenir. Il serait scandaleux qu’un système judiciaire européen se déclare incapable de protéger les femmes autrement qu’en se rangeant à des arguments phallocratiques d’un autre âge. Le divorce, en particulier, a pour fonction de séparer les époux qui ne souhaitent plus rester liés?et les deux époux de commun accord, auraient pu y recourir. La décision du tribunal de Lille est grave parce qu’elle donne à penser que la loi reconnaît des exigences non symétriques entre les deux époux. Et par le sous-entendu que des représailles de la part de l’époux viendraient «naturellement» menacer la «fautive».

Parmi les nombreux commentaires atterrés à la suite de la publication du jugement, relevons un extrait de l’article de l’association française Pro choix (Caroline Fourest: prochoix@prochoix.org) arguant que c’est la nature de la plainte qui est scandaleuse et qu’«elle révèle au grand public ce que tous les gynécologues et centres de planning familial savent déjà, à savoir qu’en 2008, alors que les hommes se vantent volontiers d’être expérimentés, on considère une femme comme un produit dont la date de validation serait périmée dès lors qu’elle a eu une vie sexuelle et amoureuse avant le mariage»?  «certaines jeunes femmes vont même jusqu’à débourser 2700 euros pour se faire recoudre l’hymen en cachette»? «cette tradition sexiste consistant à faire peser l’honneur de la famille entre les cuisses des femmes a une histoire aussi longue que le péché originel»

«Le Soir» du 4 juin, annonçait que suite aux remous créés par l’affaire, une Cour d’Appel reprendra l’affaire à zéro; en cas de jugement confirmé, le Premier Ministre laissait entendre qu’un pourvoi serait introduit en cassation; afin d’éviter le danger de création d’antécédents conduisant à une jurisprudence plus qu’indésirable.

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