par Sigrid Dieu
Du 20 au 22 juin 2012, une Conférence des Nations Unies sur le développement durable s’est tenue à Rio (Brésil). Vingt ans après le Sommet de la Terre, cette conférence intitulée Rio +20 a réuni les dirigeants du monde entier dans le but de prendre des engagements décisifs non seulement pour le développement durable mais aussi pour l’avenir de la planète. Elle s’est clôturée par une Déclaration finale [1].
Une montagne qui a accouché d’une souris. En effet, aux yeux de bon nombre d’observateurs et d’acteurs qui ont analysé le document, le résultat est sans appel: la Déclaration se caractérise par sa faible portée, son langage imprécis et son absence de vision globale [2]. Mais ce qui frappe essentiellement le commun des mortels, ce sont les résistances au niveau des droits humains, et notamment au niveau des droits sexuels et de procréation des femmes [3].
Les organisations de femmes et féministes qui ont pris part à la Conférence Rio +20 sont déçues et épuisées dans leur combat incessant pour sauvegarder leurs acquis précédents [4]. Il faut dire que le libéralisme économique effréné, modèle économique dominant mais aussi certaines régressions culturelles ou religieuses ont généré de nouvelles égalités entre les femmes et les hommes et ont rendu de plus en plus précaires les conditions de vie des femmes alors même que dans les régions du sud, ce sont sur les épaules des femmes que repose la responsabilité du «care» dans sa globalité.
Quoi qu’il en soit, Rio +20 demeurera synonyme de recul pour les femmes dans le monde. Ainsi, les articles de la déclaration politique portant sur «l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes» [5] (gender equality and women empowerment) ne font plus référence au terme «droit» à la santé sexuelle et de la procréation, ils ne parlent plus que de «santé sexuelle et de la procréation».
En Belgique et en Europe, la Plate-forme pour le droit à l’avortement a publié récemment [6] un communiqué de presse en référence à la Conférence des Nations Unies Rio +20 et à sa Déclaration finale , communiqué de presse dans lequel elle dénonce le nouveau revers subi par les femmes en matière de droit à l’avortement à l’instar des positions conservatrices de certains Etats dans le monde comme le Nicaragua, le Chili, la Russie, le Honduras, la Syrie, la République Dominicaine, le Costa Rica et l’Egypte sans faire l’impasse de l’influence toute puissante du Vatican sur la question. Une fois de plus, force est de constater qu’aujourd’hui encore, au XXIème siècle, les femmes ne disposent pas du droit de choisir d’enfanter ou pas, bref, du droit de disposer librement de leur corps.
Toujours dans son Communiqué de presse du 02 juillet 2012, la Plate-forme pour le droit à l’avortement laisse bien entendre qu’elle ne manquera nullement d’interpeller les médias, le monde politique et les lobbies pour dénoncer ces positions ultra conservatrices, préjudiciables au droit de la femme à être la seule maîtresse de son propre corps. Parce qu’il y a, selon nous, urgence… double urgence: susciter une véritable prise de conscience de l’ampleur du problème, voire susciter un électrochoc chez ceux qui font preuve d’une inertie certaine, déconcertante face à des attitudes conservatrices et garantir inconditionnellement les droits reproductifs des femmes.
Il est d’autant plus urgent d’agir afin de préserver les jeunes générations des tentations de rallier des thèses ultra-conservatrices en matière de droit à l’avortement. S’il n’est déjà pas trop tard…
En effet, par son dernier Avis sur l’avortement paru le 02 juillet 2012, le Conseil de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (ex-CJEF) [7] n’a vraiment pas raté l’occasion de provoquer des réactions virulentes. Il est vrai que la lecture et l’analyse de cet Avis laissent plutôt pantois. De surcroît, il apparaît que la notion de droit à l’avortement suscite débat même au sein du Conseil, ce qui illustre clairement un sérieux problème de représentativité.
Ainsi si le Conseil de la Jeunesse déclare dans son Avis [8] «soutenir la loi du 04 avril 1990 et les principes qu’elle contient car elle est, à son sens, un acquis social qui ne doit absolument pas être remis en question dans ses fondements (…)», il n’en demeure pas moins que le Conseil se plaît à rappeler que «(…) si une jeune femme dans une situation de grossesse non désirée prend la décision douloureuse d’avorter, le Conseil estime que ce choix doit être le fruit d’un réel consentement. Le Conseil rappelle donc l’importance de l’article 348 de la loi concernant les crimes et les délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique [9] qui stipule que «celui qui, médecin ou non, par un moyen quelconque, aura à dessein fait avorter une femme qui n’y a pas consenti, sera puni de la réclusion de 5 à 10 ans» (…).
Plus inquiétant encore, la poursuite de la lecture de cet Avis nous fait découvrir que si certains membres du Conseil «plaident pour que l’avortement soit reconnu comme un droit humain fondamental en se fondant sur l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme qui prévoit que «tout être humain a droit à la libre disposition de son propre corps» et sur les positions adoptées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui considère que les droits de la femme incluent le droit d’avoir le contrôle et de décider de manière libre et responsable de sa sexualité, de sa santé sexuelle et reproductive, sans pression, discrimination et violence [10] (…); ces membres soulignent également, par solidarité avec les pays où l’accès à l’avortement reste difficile ou est remis en question, la pertinence du rapport du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU du 3 août 2011 affirmant que les Nations Unies devraient garantir, pour toutes les femmes et les filles, un droit d’accès à l’avortement, considérant celui-ci comme faisant partie des Droits de l’Homme», d’autres membres du Conseil, sans mettre en doute le bien-fondé de ces deux droits, «insistent sur le fait que l’avortement ne peut être considéré comme un droit de l’homme comme les autres».
Nous pouvons donc aisément comprendre la levée de boucliers face à de telles prises de position qui ne peuvent qu’apporter de l’eau au moulin aux partisans des politiques natalistes.
A cet égard, il nous semble intéressant d’épingler le programme11 du Front National en France lors de la dernière campagne présidentielle 2012. Le parti de Madame Le Pen prône une «véritable politique familiale volontariste, nataliste et ambitieuse».
En Hongrie, la nouvelle Constitution votée l’année dernière stipule que «la vie du fœtus est protégée dès sa conception», ce qui pourrait conduire à un sévère renforcement de la législation en matière d’avortement sans parler du droit à l’accessibilité à la pilule du lendemain.
Et en Slovaquie, autre pays de l’Union européenne, les méthodes contraceptives ne sont pas à la portée de la plupart des femmes parce qu’elles n’entrent pas dans le système des soins de santé, ce qui constitue une flagrante violation des droits de la femme quant à disposer de son propre corps et à enfanter ou non.
En conclusion, le recul progressif, insidieux auquel nous assistons en matière de droits reproductifs des femmes en Europe et dans le reste du monde nous montre à quel point il est fondamental de réagir à travers le soutien de nouvelles stratégies mises en place dans la défense des droits reproductifs des femmes. Il est surtout grand temps de contrer toutes les initiatives des plus farouches opposants aux droits des femmes dans l’absolu parce que les femmes sont des êtres humains à part entière et non des sous-êtres devant se soumettre et ce au nom de la sacro-sainte domination masculine.
Sigrid DIEU
Notes
^1. Déclaration finale de la Conférence Rio +20: www.adequations.org/IMG/article_PDF/article_a1151.pdf
^2. www.adequations.org/spip.php?article1509
^3. www.adequations.org/spip.php?article1842: «Rio +20: Les femmes défendent leur pleine participation à la réalisation d’un développement durable »
^4. En 1992, «l’Agenda 21 des femmes pour une planète en paix et en bonne santé détaillait déjà les liens entre la dégradation écologique et des conditions de vie et la crise macro-économique, l’inégalité d’accès aux ressources et aux richesses, l’économie de guerre et les conflits armés, l’absence chez les décideurs de valeurs morales et de sens de la responsabilité vis-à-vis des générations futures». Agenda adopté lors du Sommet de la Terre de Rio sur le développement et l’environnement. Pour rappel: «Lesfemmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable». Le chapitre 24 de l’Agenda 21 détaille les objectifs de participation des femmes à tous les processus de décision et la mise en œuvre transversale de l’égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques. in www.adequations.org/spip.php?article1842
^5. www.adequations.org/spip.php?article1841
^6. Communiqué de presse du 02 juillet 2012. www.abortionright.eu
^7. www.conseildelajeunesse.be/Qui-sommes-nous
^8. www.conseildelajeunesse.be/IMG/pdf/Avis_avortement.pdf
^9. Loi du 15 novembre 1978, chapitre Ier « de l’avortement ».
^10. Art. 8 CEDH.