GROUPEMENT BELGE DE LA PORTE OUVERTE

pour l'émancipation économique de la travailleuse

Bulletin d'avril 2012

Périodique mensuel d'information et d'opinion féministe; les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur-s auteur-e-s.

P.O. manifeste!

Le 8 mars a célébré la Journée Internationale des Femmes… et le 24 mars, elles sont descendues dans la rue pour proclamer leur attachement à la dépénalisation de l'IVG: succès de foule, humour et détermination ; P.O. s'y est associée, dans la bonne humeur.

Et bien entendu, la vigilance reste de mise: les lobbys natalistes des intégristes religieux poursuivent leur travail de sape pour faire reculer les droits des femmes: rien n'est jamais acquis.

Il en existe un reportage photos.

Dans le même ordre d'idées: une lecture sur ce sujet sensible à la portée des plus jeunes: Dargaud a édité en automne 2011 «Des Salopes et des Anges», une bande dessinée sur l'IVG et plus précisément sur la débrouille individuelle qui était de mise avant la loi sur la dépénalisation. Simone Veil et les 343 sont d'ailleurs remerciées en dédicace.

Alliant historique et témoignage, la BD est scénarisée par Tonino Benacquista et dessinée par la drôle, tendre et caustique Florence Cestac. Un ouvrage pour se souvenir, rire et pleurer, et pour rappeler aux jeunes que tout ne s'est pas fait tout seul.

Mariages forcés et crimes d'honneur

Parmi les violences «domestiques» dont les femmes ont à souffrir, l'importance des sévices subis par les femmes d'origine étrangère se fait progressivement reconnaître. Une enquête réalisée par des chercheurs de la VUB et de l'Université de Gand, rapportée par «De Standaard» révèle qu'il est possible de prévenir les crimes d'honneur, mais que dans bon nombre de cas le personnel de soins et la police appréhendent mal la situation, ce qui entraîne un défaut de prise en charge.

Les chercheurs ont interrogé quelques dizaines de personnes qui travaillent dans la police, le milieu judiciaire, l'enseignement, l'accueil psycho-social et les soins de santé.

Il ressort de leur enquête que des faits de violence commis au nom de l'honneur se produisent plus souvent qu'on ne le croit et qu'il n'existe malheureusement pas de réelle politique pour y faire face et réagir adéquatement. Le rapport conclut à l'urgence d'apporter la formation requise aux policiers, magistrats, personnel de soin, enseignants, etc. L'étude préconise également la création d'une banque de données où ces faits seraient recensés.

La Région bruxelloise reconnaît que la problématique est loin d'être marginale et a annoncé son intention de remédier à ces carences: prévention (avant les départs en vacances il est prévu de lancer une campagne de sensibilisation aux mariages forcés), mais aussi assistance aux victimes: il devrait se créer en 2012 cinq places d'hébergement spécifique (mais via les structures existantes, ne rêvons pas trop!), ainsi qu'une ligne téléphonique.

Nous attendons de voir.

Faiblesses d'un accord gouvernemental

L'accord de Gouvernement du 1/12/2011 a fait récemment l'objet d'une analyse par les Femmes prévoyantes socialistes*. Celles-ci y décèlent une série d'intentions positives à l'égard des femmes (dont il faudra néanmoins surveiller la concrétisation), mais aussi quelques menaces en raison de projets qui les défavoriseront davantage que les hommes, notamment:

  • La distance définissant un emploi dit «convenable» sera portée à 60 km, et au-delà, à 4h de déplacement par jour.
  • Le crédit-temps sera moins bien pris en compte dans le calcul de la pension (76% des personnes concernées sont des femmes).
  • Pour les cohabitant-es, les allocations d'insertion seront limitées dans le temps et, au-delà d'un an de chômage, la diminution de l'allocation sera accélérée. En outre, des lacunes sont à déplorer:
  • Si le gendermainstreaming devra être mis en oeuvre, seules deux politiques par Ministre devront en faire l'objet.
  • Enfin, aucune mention n'est faite quant à:
    • la révision des barèmes en fonction de la classification des fonctions;
    • l'insertion de certains métiers majoritairement «féminins» dans la définition des métiers lourds et dans les maladies professionnelles;
    • l'individualisation des droits sociaux, bien que la suppression prévue à terme de la pension de survie aille dans ce sens, ce dont les FPS se réjouissent (néanmoins, elle risque d'être délétère pour les femmes qui continueront malgré tout à rester au foyer - NDLR);
    • le droit pour toutes les créancières des créances alimentaires de bénéficier d'avances du SECAL (Service des créances alimentaires);
    • la lutte contre la prostitution;
    • le droit des candidates réfugiées d'être entendues seules et de bénéficier personnellement d'un droit d'asile.

*Quel Genre d'accord? Entre les lignes de l'accord de Gouvernement, FPS, février 2012:14
www.femmesprevoyantes.be/SiteCollectionDocuments/Quel_Genre_Accord_ADG2012.pdf

Les valeurs des Belges: le cas des rôles sexués

Au mois de février 2012, les résultats du volet belge de l'enquête de 2009 sur les valeurs des Européens ont été publiés sous le nom Autre temps, autres moeurs. Travail, famille, éthique, religion et politique: la vision des Belges.

Au chapitre «La famille: conceptions actuelles de la relation de couple, de la famille, du genre et de la solidarité familiale» (pp 23-70) -rédigé par Patrick Deboosere, Jacques Marquet et Dimitri Mortelmans- on investigue la représentation des rôles sexués: ces «représentations sociales» conditionnent certainement les actions des politiques et des employeurs, mais aussi les attitudes, comportements et revendications de travailleuses ou demandeuses d'emploi.

Nous nous intéresserons particulièrement aux considérations positives de huit propositions soumises à l'échantillon de l'étude, concernant les rôles dévolus aux sexes (p38):

  1. une mère qui travaille peut avoir avec ses enfants des relations aussi chaleureuses et sécurisantes qu'une mère qui ne travaille pas
  2. un enfant qui n'a pas encore l'âge d'aller à l'école risque de souffrir si sa mère travaille
  3. avoir un travail c'est bien, mais ce que la plupart des femmes veulent vraiment, c'est un foyer et des enfants
  4. être femme au foyer donne autant de satisfactions qu'avoir un emploi rémunéré
  5. avoir un emploi, c'est le meilleur moyen pour une femme d'avoir son indépendance
  6. le mari et la femme doivent contribuer l'un et l'autre aux ressources du ménage
  7. en général, les pères sont aussi capables que les mères de s'occuper de leurs enfants
  8. les hommes devraient prendre autant de responsabilités que les femmes vis-à-vis de la maison et des enfants

On peut regretter le mode hypothétique des deux premières propositions: il suffit de connaître des travailleuses parvenant à concilier vies professionnelle et familiale ou un cas d'enfant qui en souffre pour répondre positivement à ces propositions contradictoires. Par ailleurs, la huitième proposition, la mieux reçue (91%) récapitule les deux précédentes, qui ne recueillent chacune que 82% de considérations positives. Peut-être parce qu'elle est rédigée au conditionnel, ou utilise le terme assez vague de «responsabilité» dans une situation moins concrète?

* Ces propositions n'étaient pas soumises dans les enquêtes précédentes
Propositions résumées:  1990   1999   2009 
 Mère qui travaille: relations chaleureuses avec ses enfants   70%  78%  85%
 Mère qui travaille: jeune enfant risque de souffrir  56%  50%  39%
 Les femmes veulent avant tout un foyer et des enfants  53%  51%  55%
 Femme au foyer: autant de satisfaction qu'un emploi  57%  60%  65%
 Un emploi: moyen d'indépendance de la femme  62%  75%  81%
 Mari et femmes doivent contribuer au ménage  62%  69%  82%
 Les pères sont capables de s'occuper de leurs enfants  *  75%  82%
 Une responsabilité des hommes: maison et enfants  *  *  91%

Un regard sur trois enquêtes (tableau 13, p40) espacées de neuf et dix ans nous permettent de constater que les mentalités changent: 85% des Belges considèrent qu'il n'est pas impensable qu'une mère puisse légitimement travailler alors qu'ils n'étaient que 70% vingt années auparavant. Par ailleurs, la croyance en la souffrance due au travail des mères baisse de 56 à 39% sur la même période.

Par contre, une bonne moitié de la population continue de penser que les femmes sont d'abord motivées par la fondation d'une famille, et 65% (en hausse) pensent qu'une «femme au foyer» se réalise aussi bien qu'une femme travaillant à l'extérieur, mais 81% (en hausse) des Belges pensent qu'un travail est un moyen d'indépendance pour les femmes. Ces chiffres apparaissent contradictoires, mais les enquêtés répondent peut-être au coup par coup, sans nécessairement confronter les propositions.

Ainsi, le bon accueil de la femme au foyer pourrait s'expliquer par la difficulté à trouver un travail, par un calcul coût/bénéfice du salaire d'un côté et des coûts du travail et de garderie de l'autre, par une plus grande attention portée à la réalisation de soi, par une plus grande perception de la dégradation des conditions de travail... tandis que la population peut par ailleurs avoir parfaitement conscience, comme la Porte Ouverte l'affirme depuis les années '30, que l'émancipation économique est la condition de l'égalité hommes/femmes.

Les résultats ventilés par sexes (tableau 15, p43) nous montrent certaines nuances entre hommes et femmes. Ainsi, les hommes considèrent plus que les femmes que les enfants risquent de souffrir d'une mère qui travaille, ils pensent également davantage que les femmes désirent d'abord être mère et surtout que cela leur convient effectivement. Les femmes pensent davantage que le travail est un moyen d'émancipation et surtout que les hommes sont capables de s'occuper des enfants.

* Ces propositions n'étaient pas soumises dans les enquêtes précédentes
Pourcentage de réponses positives Hommes Femmes
Propositions résumées: 1990 1999 2009 1990 1999 2009
 Mère qui travaille: relations chaleureuses avec ses enfants   67  75  83  73  81  87
Mère qui travaille: jeune enfant risque de souffrir  60  55  44  53  46  34
 Les femmes veulent avant tout un foyer et des enfants  52  52  57  55  51  52
 Femme au foyer: autant de satisfaction qu'un emploi  57  62  69  57  57  60
 Un emploi: moyen d'indépendance de la femme  59  72  77  65  78  84
 Mari et femmes doivent contribuer au ménage  60  63  80  63  74  83
 Les pères sont capables de s'occuper de leurs enfants  *  73  77  *  77  87
 Une responsabilité des hommes: maison et enfants  *  *  91  *  *  92

Liliane Voyé, Karel Dobbelaere et Koen Abts (dir.), Autre temps, autres moeurs. Travail, famille, éthique, religion et politique: la vision des Belges, Racine-Campus et Fondation Roi Baudouin, 2012.

Le mot de Mo

O tempora,  ô mores! proclama jadis Cicéron…

Et le Tartuffe de Molière: «Cachez ce sein que je ne saurais voir…». Hypocrisie, quand tu nous tiens!

La «Marche des salopes» le proclame: ce n'est pas parce qu'elles sont en tenue légère que l'on peut disposer de leur corps! Pourquoi les femmes ne pourraient-elles s'habiller comme cela leur plaît? Le départ du mouvement est l'apostrophe imbécile d'un policier de Toronto, qui conseillait aux femmes de ne pas s'habiller comme des traînées si elles ne voulaient pas se faire agresser. La justification «elle provoque avec sa mini jupe» est inadmissible: la violence sexuelle est injustifiable. Les «salopes» ont raison de dire qu'elles ont le droit de marcher dans la rue en short et en mini T-shirt «si elles s'y sentent bien».

Mais cela ne peut-il être une justification du même genre pour les porteuses de burka? «Je me sens bien dans ce vêtement que personne ne m'impose, mais que je choisis». Quelle réponse apporter sinon que les nijab, burka ou autre voile, même élégants sont rarement délibérément choisis mais souvent imposés comme voulus par la religion, qui n'accorde pas aux femmes un statut égal à celui des hommes.

Autre comparaison à faire sur les droits des femmes: on s'émerveille de par le monde que le Roi d'Arabie Saoudite (tiens, ce n'est pas un dictateur, lui?) accorde le droit de vote aux femmes. Rappelons tout de même que les femmes dans ce pays ne peuvent conduire de voiture sans être accompagnées et doivent demander l'autorisation d'un mâle de la famille pour une intervention chirurgicale!

Et dans la foulée, balayons aussi devant notre porte: s'est-on demandé pourquoi, en France, «pays des Droits de l'Homme», la représentation féminine dans les assemblées parlementaires n'arrive même pas à 19%?

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