GROUPEMENT BELGE DE LA PORTE OUVERTEpour l'émancipation économique de la travailleuse | ||||||
Bulletin de septembre 2004Périodique mensuel d'information et d'opinion féministe; les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur-s auteur-e-s.
ÉditorialEn cette fin de mois d'août, le monde du féminisme est en deuil. Adèle Hauwel, notre amie et Présidente honoraire nous a quittés, emportant avec elle une part importante de l'histoire du féminisme belge. Femme d'une grande modestie, qui a toujours mis ses propres intérêts en veilleuse, Adèle a oeuvré toute sa vie à l'amélioration du sort des femmes, et des travailleuses en particulier, et n'a eu de cesse de dénoncer toute forme de sexisme. Sa disparition représente une grande perte tant pour son entourage que pour le Groupement belge de la Porte Ouverte. Notre comité aura à coeur de pérenniser son oeuvre, ses idées et sa philosophie, comme le précisaient ses dernières volontés. Cette circulaire est donc structurée comme un hommage à notre humble amie, à notre éditrice en chef, à notre présidente d'honneur et cheville ouvrière de la Porte Ouverte, à ce personnage central de l'histoire du féminisme belge. Elle se compose d'une copie de la nécrologie publiée par le comité du Groupement belge de la Porte Ouverte dans le journal «Le Soir» du 1er septembre (voir ci-dessus), de la reproduction de l'hommage à Adèle lu par Gisèle De Meur lors de ses obsèques ainsi que d'un bref compte rendu de ce moment solennel. Le Comité de la Porte Ouverte Allocution funèbre d'Adèle Hauwelprononcée par Gisèle De Meur le 2 septembre 2004 à Uccle Mesdames, Messieurs, cher-e-s ami-e-s Je vais tout d'abord prononcer quelques mots au nom du Groupement Belge de la Porte Ouverte. Le meilleur hommage que l'on puisse faire à une femme de la trempe d'Adèle Hauwel m'a semblé être de lui redonner une occasion de s'exprimer en public; voici donc une partie des propos d'Adèle, recueillis par Élodie lors de visites à l'Hôpital Molière: «Le féminisme d'abord!», disait-elle. Je veux que sur ma notice nécrologique, ça apparaisse en aussi gros que mon nom!
Adèle Hauwel est née en 1920 dans une famille à l'esprit ouvert. Son père possède de grandes valises d'où sortent les échantillons de tissus qu'il vend, sa mère n'exerce pas d'activité rémunérée. Si cette famille est de culture catholique, les parents n'ont de cesse de mettre à disposition de leurs trois filles des revues, des livres pour les inciter à penser plus loin. Ainsi, très jeune, Adèle se révèle assoiffée de lectures, elle se passionnera pour les récits d'Ella Maillart (expédition en Afghanistan), de Virginie Herriot (tour du monde en bateau) et bien d'autres. À 15 ans, la lecture de «Fécondité» d'Émile Zola laisse Adèle scandalisée d'une telle utilisation du corps des femmes. Si elle est révoltée une fois de plus par les écrits d'un homme, fût-il célèbre, cette même année, elle est enthousiasmée par une femme: Louise De Craene-Van Duuren, fondatrice du groupement belge de la Porte Ouverte pour l'émancipation de la travailleuse. Elle la rencontre à une réunion publique où elle s'est rendue avec sa mère et sa soeur aînée Lucie qui participe à des cercles de réflexions et y introduira Adèle. Les années 30 sont les années noires de l'emploi pour les femmes, contraintes par des réglementations iniques de céder leurs emplois aux hommes. Quelques années plus tard, Adèle hésite à la porte de l'Université entre philosophie et médecine. Elle opte finalement pour la médecine, qui lui semble laisser plus de libertés d'expression et d'action. Ces années d'Université lui permettent de s'épanouir, de développer sa personnalité. En 1945, Adèle achève de se donner les conditions d'être elle-même: choisissant de ne pas «fonder une famille», elle milite plus que jamais à la Porte Ouverte et ouvre son cabinet de médecine dans le quartier «Ma Campagne». Avec Louise De Craene, Marcelle Renson, Stella Wolf, Jeanine Van Esch et tant d'autres, elle poursuit inlassablement le travail de documentation sur la situation des travailleuses du monde entier entrepris par la Porte Ouverte. Dans son cabinet médical, Adèle oeuvre aussi pour l'émancipation féminine en proposant aux femmes le recours à la contraception et déjà à cette époque, à la contraception d'urgence dite «du lendemain». Lorsque Willy Peers occupe le devant de la scène judiciaire pour «avortement», elle préfère continuer son oeuvre dans l'ombre. Le militantisme féministe d'Adèle, comme le fut aussi sa résistance à l'oppression nazie, est fait de petites et de grandes actions quotidiennes; dans nombre de situations, sa voix, sa volonté et son courage font oublier sa petite taille à des hommes pourtant parfois bien décidés à en découdre. En 1971, Adèle assiste à l'élection de «Miss Belgique»: Danielle, membre de la Porte Ouverte, a réussi à être préélectionnée malgré sa minorité et lorsqu'elle est élue «Miss Belgique», elle dénonce l'horreur patriarcale d'une telle cérémonie sous les encouragements de ses complices de la Porte Ouverte dans le public. L'énergie, l'intelligence et les convictions d'Adèle en font une militante de choc, qui ne s'accorde aucun répit, et méprise les plaisirs, et les distractions; elle ira jusqu'à déclarer que la musique, c'est du temps perdu au détriment de la diffusion d'informations! Son temps libre est entièrement dédié à la cause des femmes et à la diffusion des idées féministes: Elle organisera le plus de débats possibles pour informer sans relâche les femmes, publiera sans faillir ses informations critiques dans le Bulletin de la Porte Ouverte et tentera d'enrôler dans le Groupement de nouvelles générations et ainsi continuer de progresser vers son objectif: l'émancipation de la travailleuse. Adèle, j'ai encore quelques choses à vous dire... C'est dur de se séparer d'un compagnon de route... 35 ans de coude à coude, de luttes, de coups de gueule, parfois même d'éclats de rire... 35 ans à deviser très sérieusement, sans jamais nous lasser, sur notre commune passion pour les chats... quel voyage... Quand j'avais 20 ans et vous 50, vous aviez une petite auto qui roulait par pure fidélité à votre égard, toujours dans la mauvaise vitesse, en cahotant et elle nous conduisait, clandestines, la nuit, avec notre seau de colle à tapisserie, et nos affiches électorales. C'est la première fois que je vous ai entendu jurer comme un charretier... quand le seau s'est complètement déversé à nos pieds, dans l'auto, suite à un de vos légendaires coups de frein! Quand j'en eus 50, et vous 80, nous avons davantage arpenté les allées des cimetières que les rues de Bruxelles by night... oeuvre de mémoire, pour que les femmes ne soient jamais plus les «oubliées de l'Histoire»... et chaque fois, avec ce désespoir malicieux qui vous accompagnait souvent, vous me disiez: «voilà! elle est hors d'atteinte: plus rien ni personne ne la fera souffrir», et nous plaisantions sur la vie, la mort, chacune toujours recommencée? Adèle, à votre demande, je vous ai fait deux promesses en prévision de votre grand départ: La première ne nous apportera pas de surprise. Adèle, sur son lit d'hôpital, le 27 juillet 2004, m'a dicté son Testament spirituel; je vous le livre:
«Je veux et je souhaite: Adèle m'a confié ces dernières volontés avec la mission de les divulguer après sa mort et de les mettre en oeuvre. Elle a exprimé sa confiance que l'ensemble des membres de P.O., et en particulier son Comité, auront à coeur d'y aider en contribuant, chacun selon ses possibilités, à poursuivre les activités du Groupement. La seconde est plus difficile à sortir... mais une promesse c'est sacré... alors, chers amis, excusez-moi du caractère incongru de ce que je vais prononcer. Adèle avait un sens aigu de l'auto-dérision, quand elle s'exprimait devant des intimes. Debout devant la porte du 16 rue Américaine qu'elle était contrainte de quitter, quelques jours avant son hospitalisation, Adèle est déjà bien pâle, mais elle a l'oeil qui pétille encore et plaisante sur elle-même, sa lassitude et son désir d'en finir... Puis malicieusement, me regardant bien en face, elle conclut: «Je voudrais que l'on dise de moi, devant mon cercueil»: (Voilà: «la vieille panthère est tombée de son cocotier»...) C'est dit, Adèle. Compte rendu des Obsèques13H45: Crématorium d'Uccle: les proches d'Adèle se rassemblent autour des membres de sa famille. 14H00: L'assemblée (+/-70 personnes) prend place dans la grande salle du crématorium où repose Adèle. 14H10: Avec l'accord de la soeur d'Adèle, Marguerite, une partie du Comité de la Porte Ouverte organise discrètement les prises de parole en hommage à Adèle. Se succèdent:
14h45: L'assemblée se lève et quitte la salle dans laquelle retentissent les notes du Boléro de Ravel. 15h00: Une partie de l'Assemblée se retrouve autour d'une collation et échangent souvenirs et photos d'Adèle. AnnonceL'une des dernières actions d'Adèle avait été d'organiser une commémoration du rassemblement de décembre 1934. Cette commémoration est sur le point de s'organiser et nous profitons de notre circulaire pour faire savoir que nous cherchons à retrouver les témoins - Adèle ayant été notre plus proche témoin jusqu'à présent - de ce rassemblement pour nous aider à développer le projet qui tenait à coeur à Adèle. Merci d'avance pour votre aide. © Porte Ouverte 2004 |