Les valeurs des Belges: le cas des rôles sexués

Au mois de février 2012, les résultats du volet belge de l’enquête de 2009 sur les valeurs des Européens ont été publiés sous le nom Autre temps, autres moeurs. Travail, famille, éthique, religion et politique: la vision des Belges.

Au chapitre «La famille: conceptions actuelles de la relation de couple, de la famille, du genre et de la solidarité familiale» (pp 23-70) -rédigé par Patrick Deboosere, Jacques Marquet et Dimitri Mortelmans- on investigue la représentation des rôles sexués: ces «représentations sociales» conditionnent certainement les actions des politiques et des employeurs, mais aussi les attitudes, comportements et revendications de travailleuses ou demandeuses d’emploi.

Nous nous intéresserons particulièrement aux considérations positives de huit propositions soumises à l’échantillon de l’étude, concernant les rôles dévolus aux sexes (p38):

  1. une mère qui travaille peut avoir avec ses enfants des relations aussi chaleureuses et sécurisantes qu’une mère qui ne travaille pas
  2. un enfant qui n’a pas encore l’âge d’aller à l’école risque de souffrir si sa mère travaille
  3. avoir un travail c’est bien, mais ce que la plupart des femmes veulent vraiment, c’est un foyer et des enfants
  4. être femme au foyer donne autant de satisfactions qu’avoir un emploi rémunéré
  5. avoir un emploi, c’est le meilleur moyen pour une femme d’avoir son indépendance
  6. le mari et la femme doivent contribuer l’un et l’autre aux ressources du ménage
  7. en général, les pères sont aussi capables que les mères de s’occuper de leurs enfants
  8. les hommes devraient prendre autant de responsabilités que les femmes vis-à-vis de la maison et des enfants

On peut regretter le mode hypothétique des deux premières propositions: il suffit de connaître des travailleuses parvenant à concilier vies professionnelle et familiale ou un cas d’enfant qui en souffre pour répondre positivement à ces propositions contradictoires. Par ailleurs, la huitième proposition, la mieux reçue (91%) récapitule les deux précédentes, qui ne recueillent chacune que 82% de considérations positives. Peut-être parce qu’elle est rédigée au conditionnel, ou utilise le terme assez vague de «responsabilité» dans une situation moins concrète?

* Ces propositions n’étaient pas soumises dans les enquêtes précédentes
Propositions résumées:  1990   1999   2009 
 Mère qui travaille: relations chaleureuses avec ses enfants   70%  78%  85%
 Mère qui travaille: jeune enfant risque de souffrir  56%  50%  39%
 Les femmes veulent avant tout un foyer et des enfants  53%  51%  55%
 Femme au foyer: autant de satisfaction qu’un emploi  57%  60%  65%
 Un emploi: moyen d’indépendance de la femme  62%  75%  81%
 Mari et femmes doivent contribuer au ménage  62%  69%  82%
 Les pères sont capables de s’occuper de leurs enfants  *  75%  82%
 Une responsabilité des hommes: maison et enfants  *  *  91%

Un regard sur trois enquêtes (tableau 13, p40) espacées de neuf et dix ans nous permettent de constater que les mentalités changent: 85% des Belges considèrent qu’il n’est pas impensable qu’une mère puisse légitimement travailler alors qu’ils n’étaient que 70% vingt années auparavant. Par ailleurs, la croyance en la souffrance due au travail des mères baisse de 56 à 39% sur la même période.

Par contre, une bonne moitié de la population continue de penser que les femmes sont d’abord motivées par la fondation d’une famille, et 65% (en hausse) pensent qu’une «femme au foyer» se réalise aussi bien qu’une femme travaillant à l’extérieur, mais 81% (en hausse) des Belges pensent qu’un travail est un moyen d’indépendance pour les femmes. Ces chiffres apparaissent contradictoires, mais les enquêtés répondent peut-être au coup par coup, sans nécessairement confronter les propositions.

Ainsi, le bon accueil de la femme au foyer pourrait s’expliquer par la difficulté à trouver un travail, par un calcul coût/bénéfice du salaire d’un côté et des coûts du travail et de garderie de l’autre, par une plus grande attention portée à la réalisation de soi, par une plus grande perception de la dégradation des conditions de travail… tandis que la population peut par ailleurs avoir parfaitement conscience, comme la Porte Ouverte l’affirme depuis les années ’30, que l’émancipation économique est la condition de l’égalité hommes/femmes.

Les résultats ventilés par sexes (tableau 15, p43) nous montrent certaines nuances entre hommes et femmes. Ainsi, les hommes considèrent plus que les femmes que les enfants risquent de souffrir d’une mère qui travaille, ils pensent également davantage que les femmes désirent d’abord être mère et surtout que cela leur convient effectivement. Les femmes pensent davantage que le travail est un moyen d’émancipation et surtout que les hommes sont capables de s’occuper des enfants.

* Ces propositions n’étaient pas soumises dans les enquêtes précédentes
Pourcentage de réponses positives Hommes Femmes
Propositions résumées: 1990 1999 2009 1990 1999 2009
 Mère qui travaille: relations chaleureuses avec ses enfants   67  75  83  73  81  87
Mère qui travaille: jeune enfant risque de souffrir  60  55  44  53  46  34
 Les femmes veulent avant tout un foyer et des enfants  52  52  57  55  51  52
 Femme au foyer: autant de satisfaction qu’un emploi  57  62  69  57  57  60
 Un emploi: moyen d’indépendance de la femme  59  72  77  65  78  84
 Mari et femmes doivent contribuer au ménage  60  63  80  63  74  83
 Les pères sont capables de s’occuper de leurs enfants  *  73  77  *  77  87
 Une responsabilité des hommes: maison et enfants  *  *  91  *  *  92

Liliane Voyé, Karel Dobbelaere et Koen Abts (dir.), Autre temps, autres moeurs. Travail, famille, éthique, religion et politique: la vision des Belges, Racine-Campus et Fondation Roi Baudouin, 2012.

Bookmarquez le permalien.

Les commentaires sont clos.